Depuis 15 ans, le cinéaste de l'ONF Jean-Claude Coulbois gardait précieusement dans ses archives les dernières images qu'il avait de Robert Gravel. Puis, l'an dernier, il a décidé d'achever son documentaire sur l'une des figures les plus marquantes du théâtre québécois.

À la fin du documentaire sur Robert Gravel, le comédien Jacques L'Heureux raconte que le cardiologue qui a examiné son ami, mort à 51 ans d'un infarctus, lui a dit que le coeur de l'acteur avait explosé! Le film de Jean-Claude Coulbois témoigne de cette vie intense et passionnée sous les feux de la rampe.

Amorcé en 1996, abandonné la même année après le décès de Gravel, puis finalement relancé en 2011, le film Mort subite d'un homme-théâtre est un document qui instruira les plus jeunes et touchera les plus vieux. Archives et entrevues à l'appui, le réalisateur montre l'acteur, l'auteur et le grand rassembleur. Car avec Gravel, c'est le triomphe de la communauté au détriment de l'individualisme.

Pas étonnant que sa mort ait plongé dans le deuil une grande famille théâtrale. Celle-ci perdait un père, un ami, un mentor.

Enfant très intelligent issu d'un milieu populaire, il fait des études classiques puis le Conservatoire d'art dramatique. En 20 ans, Robert Gravel s'installe comme un acteur solide, franc, unique. On le voit au théâtre aussi bien qu'au cinéma (Pouvoir intime d'Yves Simoneau), que dans des téléromans de Fabienne Larouche ou Victor-Lévy Beaulieu (inoubliable Miville de L'Héritage).

Mais ce fort gaillard, baveux et critique, est heureux surtout durant les matches de la LNI, dont il est le cofondateur; et dans le local de sa troupe expérimentale, à Espace Libre, rue Fullum. «Je n'ai rien à dire, puisqu'avec Shakespeare tout a été dit», confie-t-il à Coulbois à propos de ses spectacles au NTE. «Par contre, je peux essayer de faire du théâtre autrement.»

Faire du théâtre autrement, c'est ce qu'il fit. Sans relâche. Dans les bonnes années du Théâtre expérimental de Montréal, Gravel et ses complices (Jean-Pierre Ronfard, Pol Pelletier) proposaient sept créations par saison! L'aboutissement de cette période effervescente a donné, en 1981, avec Vie et mort du Roi boiteux, une saga théâtrale de 12 heures, dans laquelle Gravel tient le rôle principal.

Le style Gravel

Il y avait un style Gravel, tant sur la scène (le non-jeu, le refus de la projection et du spectaculaire) qu'en répétitions (la consultation, la camaraderie, le sérieux dans la désinvolture). Sans oublier l'alcool, un carburant autant que l'écriture...

Il y avait aussi un homme sensible, qui posait un regard unique et caustique sur sa société, ses contemporains. Les qualités d'un dramaturge, en somme. Sa dernière pièce, Thérèse, Tom et Simon (la prémisse du documentaire) est une véritable tragédie digne des Grecs.

La mort subite de l'homme de théâtre nous a plongés dans le noir. Robert Gravel est parti avec ses secrets.

Mort subite d'un homme-théâtre prend l'affiche aujourd'hui.