Comment survivre à des débuts fulgurants ? Tahar Rahim a choisi l’éclectisme, prêtant notamment son talent à un film qui relate un chapitre méconnu de l’histoire de la France.

Comme la plupart de ses compatriotes, Tahar Rahim n’avait jamais entendu parler de l’histoire que raconte Les hommes libres, le nouveau film d’Ismaël Ferroukhi (Le grand voyage).

« L’aspect inédit de ces événements m’a d’abord attiré, explique l’acteur, révélé il y a trois ans grâce à Un prophète, film sublime de Jacques Audiard. Il s’agit d’une histoire authentique et surprenante qui, en même temps, recèle un caractère cinématographique très fort. Et en plus, ce personnage est complexe. Il y avait assez d’espace pour me permettre de faire une vraie composition. »

Dans la mouvance d’Indigènes, Les hommes libres évoque un chapitre méconnu de l’histoire de France. Le récit, campé dans le Paris occupé de 1942, s’intéresse au parcours de Younes, jeune immigré algérien vivant du marché noir. Arrêté par la police, le jeune homme est recruté à titre d’informateur et doit aller espionner à la Mosquée de Paris. Les autorités soupçonnent en effet le directeur de protéger des Juifs et des résistants.

« C’est en lisant un article du Nouvel Observateur que tout s’est déclenché, explique le réalisateur Ismaël Ferroukhi. Je me suis alors rendu compte à quel point nous étions ignorants de notre propre histoire. Dans mon esprit, il n’y avait pas de Maghrébins en France avant les années 60 ! J’ai donc fait appel à des historiens, car il me semblait essentiel de partager cette histoire. Quand on aborde un sujet comme celui-là, il est primordial d’être crédible sur le plan factuel. Le récit doit être inattaquable. »

Faire œuvre pédagogique

Ce souci pédagogique a dicté toute la mise en scène des Hommes libres, selon l’auteur cinéaste. Il n’était pas question de faire d’esbroufe avec l’histoire de ces « hommes invisibles » dont les actes héroïques n’ont jamais figuré dans les livres.

« Quand j’ai pris connaissance de cette histoire, je me suis demandé pourquoi elle était restée méconnue pendant tant d’années, souligne Ismaël Ferroukhi. Encore aujourd’hui, je n’ai toujours pas de réponse. On a "blanchi" l’histoire de France dans les bouquins.

Pourquoi ? Je n’en sais rien. J’ai eu l’impression que pour faire honneur à l’histoire de ces hommes, nous devions faire un travail de documentariste historique plutôt que de jouer la carte du divertissement. J’ai privilégié cette approche. »

Ainsi, les événements réels survenus en 1942 ont été greffés à l’histoire de Younes. Qui, à mesure qu’il découvre la dévotion du directeur de la Mosquée (interprété par le grand Michael Lonsdale) pour sauver des vies, transforme progressivement sa vision des choses.

« Je voulais à tout prix éviter la technique de la manipulation émotive, fait remarquer le réalisateur. J’espère que ce film fera le tour des écoles de France et que cet aspect de l’histoire ne sera plus oublié dans les bouquins. »

De la qualité

De son côté, Tahar Rahim essaie de gérer le succès d’Un prophète en faisant preuve d’éclectisme. Outre Les hommes libres, l’acteur a été vu dans The Eagle, péplum réalisé par Kevin Macdonald. Il a tourné Or noir sous la direction de Jean-Jacques Annaud ; Aimer à perdre la raison de Joachim Lafosse (Élève libre) ; et il est aussi le héros de Love and Bruises, un film que le cinéaste chinois Lou Ye (Nuits d’ivresse printanière) a tourné à Paris.

L’acteur s’apprête en outre à gagner bientôt le plateau du film français que tournera Asghar Farhadi (Une séparation) dans la Ville lumière.

« Quand un film fort comme Un prophète arrive aussi tôt dans une carrière d’acteur, il est certain que ça donne envie de participer à des films de qualité, commente-t-il. Avec l’expérience acquise, j’ai aujourd’hui beaucoup moins de certitudes. J’estime que c’est beaucoup mieux comme ça. Il est bon de savoir que tout ne fonctionne pas toujours comme sur des roulettes. J’ai appris à mettre un peu de distance entre un rôle et ma vie. Auparavant, cela relevait presque de l’obsession. Aujourd’hui, je sais mieux doser mes énergies. »

Tahar Rahim place l’aventure artistique au cœur de sa démarche. Et tient à ne pas « s’installer » dans ce qu’il sait déjà faire.

« J’aime prendre des risques, dit-il. J’aime m’abandonner. Je détermine mes choix en fonction du personnage, du scénario, mais aussi, et surtout, de la rencontre avec le metteur en scène. C’est fondamental. Après, les films deviennent ce qu’ils deviennent. Le pouvoir de l’acteur s’arrête là. »

Les hommes libres prend l’affiche le 30 mars.
Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.