En compagnie de son ami Vincent Lindon, Alain Cavalier s’est prêté à un exercice unique en son genre. Comme l’est, du reste, la démarche d’un cinéaste qui a toujours fait les choses à sa façon.

Pater est d’abord le portrait d’une amitié. Depuis longtemps – en fait, depuis le jour où le comédien a signifié au réalisateur son admiration et son souhait de travailler sous sa direction –, Vincent Lindon est un ami proche d’Alain Cavalier. Les deux hommes ont noué un lien qui ressemble à une relation père-fils.

« Vincent a toujours dit qu’il aimerait tourner un film avec moi, mais je ne travaille plus avec des acteurs connus depuis très longtemps, a précisé le cinéaste au cours d’un entretien accordé à La Presse. Je lui ai toujours répondu que, si jamais je faisais de nouveau un film avec des comédiens professionnels, il serait bien entendu de la partie. Dans mon esprit, il était toutefois clair que cela n’arriverait jamais, même si j’ai une admiration sans bornes pour Vincent et son talent d’acteur. Puis, un jour, Vincent m’a raconté une anecdote survenue dans un bar qu’il fréquente de temps à autre. Et j’ai eu le sentiment qu’il était mon fils. J’ai trouvé ce sentiment assez costaud pour construire un film autour de ça. »

Jeux de rôles

Jouant leur propre rôle, Alain Cavalier et Vincent Lindon se cherchent ainsi un projet commun. Ils se filment mutuellement en hommes de pouvoir. Ils se prennent au jeu. La campagne présidentielle approche. Une photo compromettante pourrait être utilisée contre un candidat non déclaré.

Pater a été tourné pendant un an, au gré des disponibilités de l’un et de l’autre. Or, deux autres films politiques français, La conquête et L’exercice de l’État, ont été tournés au même moment. Les trois longs métrages ont d’ailleurs été présentés au Festival de Cannes l’an dernier. La veille de la présentation de Pater en compétition officielle, l’affaire DSK a éclaté.

« C’est un hasard, souligne Alain Cavalier. Notre film n’a aucun rapport avec l’actualité. Mais le phénomène est assez nouveau, cela dit. En France, on reste assez respectueux du pouvoir. Il est rare que l’on aborde directement l’histoire des personnalités politiques en place. On se croit toujours un peu à l’époque de Louis XIV ! Nicolas Sarkozy a voulu désacraliser la fonction, mais il aura quand même pris la pose au fil de son mandat. Une fois au pouvoir, on dirait que personne ne peut échapper à cette identification. »

Fascinés par l’exercice du pouvoir, Alain Cavalier et Vincent Lindon se seront respectivement attribué les rôles de président et de premier ministre de la République. Lorsqu’ils ont commencé à se filmer mutuellement, grâce à de petites caméras numériques, ils n’avaient que ce postulat pour point de départ. Et une volonté bien arrêtée de remettre en question leurs idées respectives. Le récit s’est affirmé au fil des séances de filmage.

« Mon propre père était haut fonctionnaire, fait remarquer Alain Cavalier. Je me suis toujours beaucoup questionné sur ce qu’il faisait. Surtout que j’étais en désaccord avec lui sur le plan idéologique. Mais quand on se met dans la peau d’un homme de pouvoir, il est assez saisissant de constater à quel point ont peut facilement se laisser prendre au jeu. Bien entendu, je suis toujours resté moi-même pendant cet exercice, mais j’ai eu un moment le sentiment que j’aurais pu faire un président très acceptable ! »

Du cinéma partout

Le réalisateur de Thérèse, qui compte plus de 50 ans de carrière, reste optimiste pour l’avenir du cinéma.

« À mes yeux, le cinéma se débrouillera toujours très bien, car il est partout. Évidemment, l’expérience d’une œuvre peut être différente selon qu’elle se déroule dans une salle de cinéma, devant son écran plat ou sur un iPad ou un iPhone, mais, dans mon esprit, toutes les expériences sont valables. Je tourne en vidéo depuis 20 ans. Pour un cinéaste comme moi, c’est une chance prodigieuse. Cette légèreté matérielle me permet une totale liberté de création. »

Pater prend l’affiche aujourd’hui.