Il neigeait sur Toronto, un soir de blizzard, et Sarah Polley était perdue dans ses pensées. Un an avait passé depuis le succès retentissant de son magnifique premier long métrage, Away From Her (2006), nommé aux Oscars pour le scénario adapté (par la cinéaste) d’une nouvelle d’Alice Munroe et pour l’émouvante performance de l’actrice Julie Christie.

Comment faire un deuxième long métrage sans décevoir le public, quand les attentes sont si élevées? «J’avais en tête de faire un film qui ressemblerait au premier, qui ne dérouterait pas les spectateurs, mais je n’arrivais pas vraiment à y trouver mon compte», dit l’actrice et réalisatrice canadienne de 33 ans.

Celle que l’on a connue au grand écran dans le cinéma d’Atom Egoyan (The Sweet Hereafter, Exotica) a alors fait une rencontre qui l’a libérée de ses appréhensions. «J’ai croisé un critique que je connais dans la rue et je lui ai parlé de mes craintes, dit-elle. Il m’a dit que peu importe ce que je faisais, mon film serait moins bien reçu que le premier. J’ai tout mis de côté et j’ai décidé de me faire plaisir, avec un projet que j’avais en tête depuis un moment.»

Ce projet personnel, dont elle signe le scénario original, s’intitule Take This Waltz, comme la célèbre chanson de Leonard Cohen, et prend l’affiche vendredi prochain. «C’est forcément un film plus près de moi, avec des personnages qui ont à peu près mon âge et qui vivent dans mon milieu», confie Sarah Polley.

À l’instar de Away From Her, qui racontait l’histoire d’un couple vieillissant et de sa lutte contre la maladie d’Alzheimer, Take This Waltz se penche sur les difficultés de la vie à deux et l’épuisement du sentiment amoureux. «Je sens que ce sont des films qui se complètent, même s’ils sont très différents, entre autres parce que les couples n’ont pas le même âge, dit la cinéaste. Tous mes films, les courts comme les longs métrages, s’intéressent à la crise dans le couple. Je ne sais pas exactement pourquoi.»

La vie ordinaire

Take This Waltz met en vedette Michelle Williams (Blue Valentine, My Week With Marilyn), qui se désintéresse de son mari cuisinier (l’acteur comique canadien Seth Rogen) lorsqu’elle fait la rencontre d’un séduisant voisin (Luke Kirby, vu entre autres dans Mambo Italiano). C’est un film sur la déliquescence du couple. Sur la vie ordinaire qui prend le pas sur l’extraordinaire.

«C’est l’histoire de personnages qui cherchent à combler un vide dans leurs vies, dit la cinéaste qui a vécu un divorce, s’est récemment remariée et est maman depuis peu. J’avais envie de m’attaquer aux difficultés du mariage, à ce sentiment de familiarité entre deux êtres qui peut s’avérer incompatible avec le désir. À ces moments embarrassants où l’on se trouve trop à l’aise avec quelqu’un, parce que l’amoureux n’est devenu qu’un grand ami.»

Tenue d’Ève 

Dans la presse canadienne et américaine, après la présentation en première mondiale de Take This Waltz au Festival international du film de Toronto, on a fait grand cas, non pas des scènes de sexe entre les personnages interprétés par Michelle Williams et Luke Kirby, mais d’une scène de douche où tous les personnages féminins sont en tenue d’Ève.

Je fais remarquer à la cinéaste que ce genre de commentaire ne risque pas d’être fréquent dans les médias québécois ou européens. «C’est gênant! On est si puritains, si provinciaux lorsqu’il est question de sexualité», admet en riant celle qui a joué entre autres dans des films de Jaco Van Dormael et Isabel Coixet.

«C’est vraiment une question culturelle, croit Sarah Polley. Les gens qui en font un plat, je crois, ne sont habitués de voir que des films nord-américains anglophones. Je ne voulais pas susciter une controverse, mais je savais que comme il s’agissait d’actrices connues (l’humoriste Sarah Silverman entre autres), il y aurait un impact. Ce n’est pas une posture de ma part. Seulement une réflexion sur le fait que la nudité est souvent utilisée dans le cinéma nord-américain comme un élément comique – Kathy Bates dans About Schmidt par exemple – ou de manière à montrer la femme comme un objet sexuel.»

Margaret Atwood

Si elle compte bien profiter de son congé de maternité, Sarah Polley projette déjà de se consacrer à l’écriture du scénario et à la réalisation de son prochain long métrage, une adaptation d’un roman de Margaret Atwood: Alias Grace.

La jeune Torontoise, qui a fait ses débuts de comédienne dans la télésérie Road to Avonlea, d’après l’œuvre de Lucy Maud Montgomery (Anne of Green Gables), ne compte pas pour autant abandonner sa carrière d’actrice. Elle devrait être de la distribution du prochain film de Wim Wenders, Eveything Will Be Fine, qui pourrait être en partie tourné à Montréal.

«Je suis liée depuis longtemps à ce projet, mais je ne sais pas exactement quand le film sera tourné, dit-elle. J’espère que ce ne sera pas dans les prochains mois, parce que je suis à la maison avec le bébé et que je n’ai pas l’intention de beaucoup travailler!»

Envisage-t-elle de combiner un jour ses deux métiers en jouant dans ses propres films?

«Je ne crois pas avoir l’expérience nécessaire, ni comme actrice ni comme réalisatrice, pour le faire. Mais quelqu’un me faisait remarquer que Clint Eastwood n’est jamais aussi bon acteur que dans ses propres films, alors peut-être que je finirai par me convaincre que la souffrance de me voir le visage pendant des semaines en salle de montage en vaut la peine!»