Jean Larivière est comme un personnage de cinéma. L'homme qui n'a pas l'internet se promène dans les buanderies, les cafés, les CLSC pour poser des affiches sur des babillards. Jean n'offre ni des cours de langue ni des services d'homme à tout faire. Ce qu'il cherche? Des cinéphiles qui ont envie de répondre à 115 questions sur le septième art.

Sur des feuilles blanches décorées de petites étoiles autocollantes, Jean soigne son écriture. Il demande: «cinéphiles recherché(es) pour discuter de cinéma». Le message se termine par son prénom et son numéro de téléphone.

Il y a des curieux qui appellent Jean, lui posent quelques questions, puis la discussion s'arrête là. Il y en a qui croient que l'ancien bibliothécaire organise des projections suivies d'une discussion.

Jean veut plutôt rencontrer des cinéphiles pour connaître leurs goûts. Il pourrait mener son interrogatoire au téléphone, mais il préfère rencontrer ses sujets en personne.

«Le côté téléphonique est feutré, clandestin, anonyme, dit le quinquagénaire. On ne voit pas la personne, on n'entend que le son de sa voix. Quand la personne est devant soi, il n'y a plus de mystère. On peut humer son odeur, voir ses vêtements, observer ses réactions. On ne retrouve pas ça au téléphone.»

Jean a longtemps été un cinéphile. Un cinéphage, même, dit-il. Pendant une vingtaine d'années, il a regardé deux ou trois films par jour. Il classait chaque production par ordre alphabétique dans un cahier en lui donnant une note, de «navet» à «chef-d'oeuvre».

Pour une raison mystérieuse, son amour pour le cinéma s'est éteint en 1998, après 18 années. Même s'il ne regarde plus autant de films, Jean s'intéresse aux goûts des autres.

«Ce qui me passionne, ce n'est pas le film lui-même. C'est l'individu. Je veux savoir comment il est venu à aimer le cinéma, qui sont ses acteurs préférés, s'il préfère voir un film en salle ou dans son salon.»

L'approche de Jean s'apparente parfois à celle d'un journaliste. Il n'impose jamais le lieu des rencontres. C'est l'interviewé qui choisit un endroit afin qu'il se sente à l'aise et que ses réponses viennent plus facilement.

Jean a une structure, aussi. L'ordre dans lequel il pose ses 115 questions est réfléchi. Il a deux cahiers à spirales: l'un dans lequel se trouve le questionnaire, l'autre dans lequel il note les réponses.

«Quand je pose mes questions, je commence par mes meilleures. Elles sont au tout début parce que je dois capter l'attention de la personne. Si je débute par des questions plates, les gens vont vouloir partir», explique-t-il.

Ses premiers appels à tous, Jean les a affichés il y a 12 ans. À l'époque, il avait mené une soixantaine d'entrevues téléphoniques auprès de cinéphiles. L'été dernier, après sa nouvelle vague d'affichage, il a rencontré en tête-à-tête une douzaine de nouveaux participants.

Jamais personne n'a quitté la table avant la fin de l'entrevue. Les discussions durent entre 1 h 15 min et 3 h 15 min, selon la volubilité des sondés.

Et que fait-il des réponses? Il les regarde, il les étudie, il les analyse. Comme un collectionneur de timbres ou de vinyles, Jean collectionne les goûts de cinéphiles dans des cahiers de notes. Tout simplement.

Partout sur les réseaux sociaux

Le singulier personnage se déplace partout en ville, de L'Île-des-Soeurs à Hochelaga. Il évite le centre-ville, où il y a peu de babillards. En fait, les espaces d'affichage communautaires se font de plus en plus rares, dénonce-t-il.

Mais ce que Jean ignore, vu qu'il consulte très rarement l'internet, c'est que son annonce se multiplie sur les réseaux sociaux. Les gens sont charmés par sa calligraphie, par son numéro de téléphone sans indicatif régional et par sa démarche d'une autre époque.

Quand nous lui montrons son annonce sur notre téléphone intelligent, Jean est surpris. Il croit d'abord qu'on a plagié son idée, puis réalise qu'il s'agit bel et bien de son écriture.

«C'est quand même bizarre. Tout le monde surfe, navigue, clavarde. L'internet est consulté par des milliers de personnes, mais personne ne m'a appelé après avoir vu l'annonce sur Instagram», dit-il, légèrement irrité qu'on ne lui ait pas demandé la permission avant de partager son annonce.

Jean a arrêté de poser des affiches dès que le froid s'est installé; il déteste l'hiver. Au printemps, celui qui est aussi messager à vélo compte recommencer à parcourir les babillards aux quatre coins de la ville. C'est qu'il veut toujours rencontrer plus de cinéphiles. Et, dans ses rêves les plus fous, il aimerait qu'un critique de cinéma tombe sur son affiche et lui donne un rendez-vous pour discuter de cinéma pendant des heures.

Voilà! L'appel est maintenant lancé.

Jean répond aux questions de Jean

Pendant une heure, Jean s'est retrouvé dans la chaise de l'interviewé. Nous avons pigé dans sa liste de 115 questions pour tenter de cerner cet individu hors norme.

Votre plus grande déception au cinéma? 

C'est le film Mamma Mia! que j'ai vu récemment. Je suis un grand fan du groupe ABBA et le film est inspiré de leur musique. J'avais donc très hâte de le voir, mais j'ai finalement trouvé que c'était pourri. Ça faisait pitié comme film.

Une chanson associée au cinéma? 

What a Feeling dans Flashdance. J'ai visionné ce film en 1984 après avoir vu la bande-annonce à la télé. Quand la fille danse devant les juges à la fin et que la chanson joue, je trouve que c'est un moment fort.

Votre salle de cinéma préférée?

Le Parisien qui n'existe plus sur Sainte-Catherine. Ce n'est pas qu'on était mieux installé qu'ailleurs. C'est que cette salle me rappelle des souvenirs. J'y allais souvent dans les années 80 et je m'arrêtais toujours après la projection dans un petit bistro pour boire un café. Je suis très nostalgique de cette époque, de sa musique, de sa littérature, de sa télévision.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @IZPE