À l'automne 1968, l'abbé et cinéphile Robert-Claude Bérubé lançait un système de cotation des films diffusés au Québec. Un système basé sur les valeurs artistiques et non morales des oeuvres, comme on le faisait jusque-là. Cinquante ans plus tard, ce système à sept échelons est toujours en fonction, géré par Mediafilm. Tour d'horizon des fameuses cotes chiffrées.

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Avec la classification de Mediafilm, plus le chiffre est petit, meilleure est l'oeuvre. Les films détenant la cote 1 sont qualifiés de chefs-d'oeuvre. « C'est le sommet de l'Everest du 7e art », indique Mediafilm sur son site internet. S'enchaînent les cotes 2 (remarquable), 3 (très bon), 4 (bon), 5 (moyen), 6 (pauvre) et 7 (minable). Chaque année, un comité interne de Mediafilm regarde et évalue l'ensemble des films présentés au Québec. Il y a quelques jours, on en comptait 423 pour l'année 2018, indique Martin Bilodeau, rédacteur en chef de l'organisme.



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En 50 ans, seulement trois films québécois ont reçu la rarissime cote 1. Ce sont Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault (1963) , Mon oncle Antoine de Claude Jutra (1971) et Les ordres de Michel Brault (1974). Selon le Dictionnaire des films québécois de Marcel Jean, Pour la suite du monde est le premier film québécois sélectionné en compétition officielle à Cannes. Les ordres est aussi allé sur la Croisette pour en revenir avec le prix de la mise en scène. Quant à Mon oncle Antoine, il est considéré comme le meilleur film canadien de tous les temps selon des sondages menés par le festival de Toronto (TIFF) en 1984, 1993 et 2004. En 2015, il tombe au deuxième rang de ce palmarès.

Photo fournie par Productions Prisma

Jean Lapointe dans une scène du film Les ordres, de Michel Brault

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Le cinéaste suédois Ingmar Bergman est le réalisateur qui revendique le plus de films avec la cote 1, soit six ! Ce sont Det Sjunde inseglet (Le septième sceau) en 1956, Smultronstället (Les fraises sauvages) en 1957, Jungfrukällan (La source) en 1959, Persona en 1966, Viskningar och rop (Cris et chuchotements) en 1972 et Fanny och Alexander (Fanny et Alexandre) en 1982. À noter que La source et Fanny et Alexandre ont remporté l'Oscar du meilleur film étranger, tout comme le film Såsom i en spegel (À travers le miroir), aussi de Bergman, à qui Mediafilm a attribué la cote 2.

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Les films cotés 7 sont-ils à jeter à la poubelle ? Oh que non ! On trouve là-dedans des perles psychotroniques adorées par des cinéphiles branchés et même quelques stars du cinéma. Par exemple, Bad Taste (poétiquement traduit au Québec par Dans l'cul), d'un certain Peter Jackson qui réalisera plus tard la trilogie de The Lord of the Rings (Seigneur des anneaux) ; La petite Aurore, l'enfant martyre, un classique au Québec ; Plan 9 from Outer Space d'Ed Wood, considéré comme le pire réalisateur de tous les temps et objet d'adoration de Tim Burton qui lui a rendu hommage avec le film Ed Wood... Enfin, on trouve beaucoup de films d'horreur et érotiques qui sont aujourd'hui devenus cultes. La plus récente entrée de la catégorie « minable » ? Papa est devenu un lutin, le film de Noël distribué par Vincent Guzzo... La cote 7 est finalement le miroir inversé de la cote 1, qui suscite curiosité et envie de voir, parce qu'il faut être exceptionnellement mauvais pour la recevoir.

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Une dizaine de personnes font partie du comité interne de Mediafilm qui évalue les films chaque année. Aux employés permanents de l'organisme s'ajoutent six ou sept collaborateurs externes, indique M. Bilodeau. « À ces rencontres, nous ajoutons un coup de sonde dans les réseaux sociaux, poursuit-il. Les gens réagissent à ces demandes et c'est amusant. » Par exemple, durant le week-end des 15 et 16 décembre, Mediafilm a demandé aux internautes si on devait faire passer de la cote 2 à la cote 1 les oeuvres Saving Private Ryan de Steven Spielberg et The Thin Red Line de Terrence Malick. « Ça faisait des mois que nous n'avions pas eu de réactions aussi fortes à nos statuts », dit M. Bilodeau. Fait amusant, sur le site internet de Mediafilm (mediafilm.ca), on peut lire la biographie des membres de l'équipe, où chacun indique quel film devrait à son avis être élevé au rang de chef-d'oeuvre.

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Ces jours-ci, tous nos grands critiques de cinéma se fendent de bonheur pour le film Roma d'Alfonso Cuarón. Mais ne vous attendez pas à ce qu'on y accroche instantanément l'attribut de chef-d'oeuvre. Jamais un film ne reçoit la cote 1 au moment de sa sortie. En fait, Mediafilm s'impose une période de mûrissement de 20 ans avant de réévaluer les films qui avaient reçu la cote 2 afin de voir s'ils doivent être élevés à la cote 1. « On veut s'assurer que ces films ont fait leur place dans l'histoire et qu'ils ont eu une influence. Cela ne se mesure pas immédiatement », dit Martin Bilodeau. Il ajoute que la majorité des films réévalués conservent la cote 2.

60

Quel pays compte le plus de films avec la cote 1 ? Les États-Unis avec 60, nous dit Louis-Paul Rioux, rédacteur en chef adjoint de Mediafilm. A Woman Under the Influence (Une femme sous influence) de John Cassavetes, Bonnie & Clyde d'Arthur Penn, One Flew Over the Cuckoo's Nest (Vol au-dessus d'un nid de coucou) de Milos Forman et Fargo des frères Coen font partie des chefs-d'oeuvre américains. La France arrive en deuxième place avec 26 films, suivie de l'Italie (18), l'Allemagne (11) et l'Union soviétique (9).

PHOTO GUNNAR SEIJBOLD, ARCHIVES REUTERS

Ingmar Bergman en 1998

153

Et maintenant, place au total : 153 films revendiquent la précieuse cote 1. Aux oeuvres déjà nommées, ajoutons 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick, 8 1/2 de Federico Fellini, À bout de souffle de Jean-Luc Godard, East of Eden (À l'est d'Éden) d'Elia Kazan et Goodfellas (Les Affranchis) de Martin Scorsese. Certaines données peuvent cependant être trompeuses, dit M. Rioux. Ainsi, le seul film australien à avoir obtenu la cote 1 est The Piano (La leçon de piano) de Jane Campion, qui est néo-zélandaise.

74 000

En 50 ans de travail, c'est, grosso modo, le nombre de films évalués par les gens de Mediafilm. Au cours de toutes ces années, de nombreux médias québécois ont utilisé ce système à un moment ou à un autre. Martin Bilodeau cite tant La Presse que Le Journal de MontréalLe DevoirTV HebdoLe SoleilÉchos VedettesMétro7 JoursLa semaine et illico. « C'est ancré dans l'ADN des Québécois, dit-il. Il faut expliquer notre échelle en dehors du Québec et aux Québécois de moins de 35 à 40 ans. » Il est vrai que plusieurs médias, dont les quotidiens montréalais, utilisent depuis plusieurs années une cotation sur cinq étoiles. Au fait, Martin Bilodeau ne connaît pas exactement l'explication derrière le choix des sept échelons. « Il y a une enquête à faire là-dessus, dit-il. Mais on se plaît à penser que cela renvoie au 7e art. »

Photo fournie par Métro-Goldwyn-Mayer

Une scène de 2001: A Space Odyssey, de Stanley Kubrick. Le film a la cote 1 de Mediafilm.