Après avoir exploré le scandale des prêts hypothécaires à risque (subprimes) dans The Big Short, Adam McKay se penche avec Vice sur Dick Cheney, un vice-président en forme de prédateur politique. Christian Bale est méconnaissable dans le rôle de Dick Cheney, et Amy Adams dans le rôle de Lynne, son épouse, n'a jamais eu une aussi belle permanente.

Autour de la table ronde réunissant une douzaine de journalistes de cinéma en attente de l'arrivée des deux principales vedettes de Vice, une seule question alimentait les conversations. Comment se porte Christian Bale, mythique acteur du dédoublement, méconnaissable d'un rôle à l'autre, et qui, pour incarner le vice-président Dick Cheney dans Vice, a non seulement pris 40 livres, mais s'est aussi transformé radicalement au point de ressembler comme deux gouttes d'eau au vrai Dick Cheney.

Dans la suite de cet hôtel de Beverly Hills, les questions fusaient. L'acteur avait-il réussi à perdre les kilos en trop ? L'avait-il fait au péril de sa santé ? Est-ce que le bon vieux Christian Bale de Batman allait être marqué physiquement à jamais par Dick Cheney ?

Lorsque l'acteur a franchi la porte de la suite, les questions se sont dissoutes comme le sucre dans le café. Grand, maigre, les traits creusés, le visage presque émacié, Christian Bale ne portait plus une trace de Dick Cheney en lui. Même ses cheveux avaient repoussé et remplacé le casque de poils blancs hirsutes du VP.

« Devinez par où le gras quitte le corps ? », lança-t-il à la cantonade aux journalistes, frappés de mutisme. « Par la respiration. Pas à 100 %, mais une proportion importante du gras s'échappe à travers notre respiration. Fascinant, non ? »

Fascinant peut-être, mais jamais autant que le Dick Cheney de l'ombre, éminence grise, silencieuse et manipulatrice, qu'il nous offre tout au long d'un film à la fois extraordinairement divertissant et extraordinairement instructif, politique et édifiant.

Dick Cheney, vice-président sous George W. Bush, y apparaît comme un assoiffé de pouvoir et un prédateur politique qui s'est littéralement approprié le pouvoir exécutif et l'a détourné à ses propres fins, lançant les États-Unis dans une désastreuse guerre contre l'Irak. Pourtant, Christian Bale défend le personnage.

« [Dick Cheney] est un fanatique en quête de pouvoir, mais il s'est sacrifié et a renoncé à ses rêves de présidence. Il se bat pour le pouvoir, mais pas pour lui. Pour George W. En même temps, il voit en W. une opportunité pour lui-même. C'est un homme de l'ombre, complexe et paradoxal, mais n'oubliez jamais qu'on lui a donné un poste qu'il n'a jamais demandé. Il ne voulait pas être vice-président, mais Bush l'a pratiquement supplié ; il a accepté à ses conditions. C'est toute la différence. »

- Christian Bale

Du même coup, celui qui chaque matin s'astreignait à quatre heures de maquillage avant de se glisser dans la peau adipeuse et en sueur de son personnage avoue qu'il n'a jamais réussi à saisir le poids de la responsabilité dont Cheney se sentait investi. « Même en explorant pendant des mois ce que ça représentait d'avoir autant de pouvoir et de se lever chaque matin avec ce poids, je n'ai jamais réussi à en saisir la profonde vérité. »

DE CAMILLE PREAKER À LYNNE CHENEY

Amy Adams, assise à ses côtés, raconte à son tour comment elle a plongé sans jugement dans le personnage de Lynne Cheney, l'épouse contrôlante et ambitieuse du vice-président, seulement un mois après la fin du tournage, avec Jean-Marc Vallée, de la série Sharp Objects. L'océan émotionnel à franchir entre Lynne Cheney et Camille Preaker, la journaliste dépressive et alcoolique qui se mutile dans Sharp Objects, ne l'a pas dérangée. Tout le contraire. Lynne Cheney l'a aidée à se remettre de la noirceur et du climat étouffant de Sharp Objects.

« Lynne et Dick sont plus qu'un couple. Ce sont des partenaires, un peu comme mon mari [Darren Le Gallo] et moi. Ils se soutiennent mutuellement. Elle a été une formidable source de motivation pour lui. C'est une femme intelligente, instruite, qui n'a pas peur de ses opinions. Elle est énergique et engagée, mais ce qui lui manque, c'est la patience, la capacité d'être silencieuse et d'écouter comme le fait son mari. »

LE PROJET D'ADAM MCKAY

Vice est le projet d'Adam McKay, le génial réalisateur de The Big Short, film épique sur la crise des subprimes, qui a gagné l'Oscar de la meilleure adaptation scénaristique en 2016. C'est un grand gaillard qui fait plus de 6 pieds avec le gabarit de Michael Moore, un ami et ancien collègue avec qui il a travaillé en 1996 sur l'émission The Awful Truth.

Le réalisateur, qui est aussi le scénariste de Vice, s'est inspiré de trois films - Patton, Sid and Nancy et Il Divo - qui, en vérité, sont des choix parfaitement loufoques.

Il s'explique : « Patton, parce que si on regarde le film en se disant que le général Patton est cinglé, il l'est. Si, au contraire, on le voit comme un héros, c'est dans le film aussi. Puis, j'ai regardé Sid and Nancy parce que je voulais une histoire d'amour avec une femme qui a besoin de pouvoir et de sécurité comme Lynne. Nancy aussi en avait besoin. Et finalement, avec Il Divo, j'aimais l'aspect rigide et bureaucratique de ce premier ministre [Giulio Andreotti] entouré de vie et de style. »

Stylistiquement, Vice est foisonnant, singulier et pas linéaire pour un sou. Parmi les surprises, il y a ce générique de fin qui se met à défiler en plein milieu du film. Il y a aussi à la fin une bagarre générale qui éclate entre membres d'un focus group qui discutent des mérites et des défauts du film.

Pourquoi avoir choisi cette forme folle et éclatée ? « Parce que nous vivons des temps fous et éclatés. Je ne me voyais pas tourner juste un drame ou juste une comédie. Aussi, parce que je ne me suis jamais remis d'avoir vu Trump au milieu d'une forêt ravagée par le feu près de Malibu dire qu'il aurait fallu râteler les feuilles comme en Finlande. C'était à la fois quelque chose d'hilarant, de ridicule et de proprement terrifiant. Cet homme est un déraillement de train à lui tout seul », ironise Adam McKay.

Le cinéaste jure que jamais en 100 ans il ne perdra son temps à écrire un film sur Trump qu'il qualifie de faible et de sous-doué. Reste que malgré le respect que lui inspire parfois Dick Cheney, son portrait de lui est plus accablant qu'il n'est flatteur. Tellement qu'on se demande si une poursuite ne guette pas la production. Or, le réalisateur affirme qu'il n'y a aucun risque de poursuite.

« Parce que Dick Cheney est une personnalité publique, mais aussi, pour qu'il y ait poursuite, il aurait fallu qu'on contacte Cheney et que le film soit une biographie autorisée. Or, nous avons évité tout contact avec l'entourage de Cheney. Mais nous avons fait une recherche exhaustive en nous abreuvant de tonnes de documents et des écrits mêmes du VP. Tout ce qui est dans le film est vrai, ou a été vérifié et contre-vérifié. »

Malgré ces précautions, Adam McKay est persuadé que son film va diviser les gens.

« Nous savons que le backlash s'en vient, mais la bonne nouvelle, c'est que pour nos détracteurs, c'est juste un film. Or, ce film est avant tout l'histoire d'un success story. J'ai envie de leur dire : vous avez gagné. Vous avez fait la révolution républicaine. Vous contrôlez tout. Je ne vois vraiment pas pourquoi mon film vous dérange. »

Pourtant, c'est évident que le film va les déranger. Ces futurs détracteurs, qui ont déjà commencé à se manifester, vont à coup sûr accueillir Vice avec irritation, sinon hostilité. Pour les autres, le film promet des heures de rire, de plaisir et la conscience douloureuse qu'ils vivent une époque folle et éclatée dont ils n'ont pas encore vu la fin ni touché le fond. 

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Vice prend l'affiche le 25 décembre. 

Les frais de ce reportage ont été payés par Les Films Séville.

Photo fournie par Annapurna Pictures

Amy Adams et Christian Bale dans Vice 

Photo fournie par Annapurna Pictures

Christian Bale dans Vice