François Truffaut lui a offert son vrai premier rôle marquant au cinéma dans Tirez sur le pianiste. Claude Chabrol a aussi utilisé ses talents d'acteur, de même que Claude Lelouch, Volker Schlörndorff et bien d'autres. De la soixantaine de films qu'il a tournés, parmi lesquels quelques navets, a-t-il déjà dit lui-même, Charles Aznavour a déjà révélé qu'à ses yeux, Ararat était le plus significatif. Le cinéaste canadien Atom Egoyan, né de parents arméniens, nous parle de celui qui fut si important dans sa vie.

En 2002, Atom Egoyan a lancé au Festival de Cannes son film le plus personnel. Le récit d'Ararat - un long métrage constitué d'histoires contemporaines liées au génocide arménien de 1915 - était construit autour d'un film que tournait un grand cinéaste incarné par... Charles Aznavour. Le choix d'offrir ce rôle à l'auteur de La bohème relevait de l'évidence aux yeux du réalisateur de The Sweet Hereafter.

«Charles Aznavour a pratiquement toujours fait partie de ma vie, confiait hier le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse. Chez nous, il était un dieu. Quand j'étais enfant, nous habitions à Victoria [Colombie-Britannique] et mon père achetait tous ses disques, car Aznavour était l'artiste arménien le plus célèbre. Nous étions fous de ses chansons, et ma mère, qui était très francophile, faisait aussi souvent jouer des chansons d'Édith Piaf et de Georges Moustaki. Il y avait beaucoup de chansons françaises à la maison!»

Conscientisé très jeune à la cause arménienne, Atom Egoyan a eu l'idée d'Ararat dès ses débuts dans le domaine du cinéma, mais il lui faudra quand même attendre plus de deux décennies avant de porter ce film intime à l'écran.

«J'ai écrit le scénario en pensant à Charles Aznavour, sans savoir s'il accepterait de tenir le rôle, explique-t-il. J'ai dû le convaincre, car au début des années 2000, il avait déjà déclaré qu'il ne souhaitait plus jouer. Une fois que j'ai eu son accord, il s'est complètement investi, même si les horaires étaient parfois difficiles à synchroniser, étant donné qu'il était toujours en tournée. Je me souviendrai toujours de la première fois où je lui ai montré le film. C'était à Montréal, d'ailleurs, une ville à laquelle il restait profondément attaché. J'étais évidemment très nerveux, mais il a compris d'instinct la démarche. Il aimait que le film ne tombe pas dans le sentimentalisme et qu'il présente la question arménienne sous un nouveau jour.»

Lors du lancement d'Ararat à Cannes, Charles Aznavour avait parlé du «film qu'il attendait enfin»: «Je suis heureux qu'un film dans lequel est évoqué le génocide arménien puisse circuler dans le monde entier. J'en suis d'autant plus fier qu'Atom et moi avons le même point de vue. Ararat, à mon sens, n'est pas un film revanchard, plutôt une oeuvre à travers laquelle on peut comprendre certaines choses. Quand j'ai lu le scénario, avait-il ajouté, j'ai eu l'impression de lire des histoires que me racontait ma mère.»

De cette collaboration est née une relation entre les deux hommes qui s'est poursuivie bien après.

«J'ai eu le privilège d'accompagner Charles quelques fois en Arménie, indique Atom Egoyan, notamment à la faveur d'un hommage qu'on lui a rendu lors d'un festival de cinéma tenu là-bas, et pour lequel on m'a confié le rôle de maître de cérémonie. J'en garde des souvenirs très vifs. À mes yeux, Charles avait deux identités: la première est celle du chanteur français, bien sûr, et de l'exceptionnel auteur-compositeur-interprète qu'il était, mais aussi celle d'un fervent nationaliste arménien. Pour la communauté arménienne mondiale, il est la plus grande star, une figure emblématique immense. Et il a su faire connaître sa cause en Occident. 

«Quelle vie remarquable! s'exclame-t-il en concluant. Il m'avait fait beaucoup rire quand je suis allé le chercher à l'aéroport de Toronto et qu'il a réclamé un hot dog. Il m'a alors dit que là était le secret de sa longévité!»

Une belle carrière au grand écran

On disait souvent d'Aznavour qu'il abordait chacune de ses chansons sur scène comme un acteur. Il est vrai que l'artiste a aussi pu faire valoir rapidement cette facette de son talent au cinéma - dès 1936! - grâce à un petit rôle dans La guerre des gosses. Il faudra cependant attendre la toute fin des années 50 avant que le comédien décroche des rôles plus importants. Il se fait alors remarquer dans La tête contre les murs de Georges Franju. Jean-Pierre Mocky fait ensuite appel à lui pour sa première réalisation, Les dragueurs. La même année, il obtient un petit rôle dans Le testament d'Orphée de Jean Cocteau. Un an plus tard, François Truffaut confie à Charles Aznavour le rôle principal de Tirez sur le pianiste, film qui lui vaut enfin la consécration à titre de comédien. Au milieu des années 60, Aznavour joue chez Julien Duvivier (Le diable et les dix commandements) et Pierre Granier-Deferre (Paris au mois d'août et La métamorphose des cloportes).

La décennie suivante le voit s'aventurer en Italie chez Sergio Gobbi (Le temps des loupsUn beau monstre), aux États-Unis (The Adventurers), en Angleterre (Dix petits nègres), et même en Allemagne chez Volker Schlöndorff pour un rôle secondaire dans Le tambour, Palme d'or ex aequo avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola en 1979.

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Arsinée Khanjian, Charles Aznavour et Atom Egoyan lors de la conférence de presse précédant la projection hors compétition du film Ararat au Festival de Cannes.

À partir des années 80, Aznavour ralentit le rythme. Claude Chabrol lui offre cependant un rôle important aux côtés de Michel Serrault dans Les fantômes du chapelier. À cette même époque, Claude Lelouch enchaîne deux films avec lui: Édith et Marcel et Viva la vie.

Reste enfin cette perle érotico-psychédélique que fut Candy de Christian Marquand (1968), dans laquelle il joue un... bossu lubrique. Une production internationale dont il partage l'affiche avec Marlon Brando, Richard Burton, Anita Pallenberg, John Huston, le boxeur Sugar Ray Robinson et même Ringo Starr!

«Avec le recul, je peux être fier d'une petite dizaine d'expériences, avec Franju, Truffaut, Cayatte, Duvivier, Chabrol ou Schlöndorff [...], a déclaré Charles Aznavour. C'était une respiration et une détente pour moi d'échapper à l'univers assez solitaire du music-hall.»

(Avec l'Agence France Presse)

Des chansons d'Aznavour dans les films québécois

Nous avons tous encore en mémoire la chanson Emmenez-moi, au coeur de C.R.A.Z.Y., le film à succès de Jean-Marc Vallée. Hier encore pouvait aussi être entendue dans le même film. En 2015, le réalisateur de Sharp Objects a fait entendre La bohème dans Demolition. Quinze ans plus tôt, Denis Villeneuve a choisi Les deux guitares et Et pourtant pour enrichir la trame musicale de Maelström.

Photo fournie par Les Films Séville

Arsinée Khanjian et Charles Aznavour dans Ararat, un film d'Atom Egoyan