Sonia Bonspille Boileau n'a pas attendu que le gouvernement dépose les conclusions de son enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées. Elle n'a pas attendu non plus que «l'affaire Kanata» éclate. Il y a longtemps que le scénario de son film Rustic Oracle, l'histoire de la disparition d'une jeune femme autochtone à travers les yeux de sa petite soeur de 8 ans, était dans un coin de sa tête.

«L'enquête est récente, mais ça fait très longtemps que l'on sait dans les communautés autochtones qu'il y a un problème», dit-elle lors d'une rare pause durant la journée de tournage qui avait lieu mardi dernier, à Oka.

En 2008, deux femmes de la communauté dont fait partie le producteur du film, Jason Brennan, ont mystérieusement disparu. Sonia Bonspille Boileau, membre de la communauté mohawk de Kanesatake, a été fortement marquée par cet événement.

«J'ai beaucoup pensé aux membres des familles. L'une des femmes avait des frères et soeurs en bas âge. Je me suis demandé comment un enfant pouvait vivre et comprendre ça.»

La réalisatrice a inscrit son action en 1996, car elle s'identifie à l'une des deux victimes. «Elle avait 16 ans au moment de sa disparition, c'est à peu près l'âge que j'avais au milieu des années 90. Je désirais également que le film se passe avant l'ère des réseaux sociaux, car je voulais montrer comment c'était plus difficile de se faire entendre et de trouver de l'aide à cette époque.»

Le film aborde la difficile question de l'impact des problèmes sociaux qui règnent dans les communautés autochtones sur la jeune génération, ce cercle infernal dont il est difficile de s'extirper. «Je veux surtout rassembler tout le monde par l'entremise des émotions, dit Sonia Bonspille Boileau. Je crois que ce sera la véritable job du film.»

Un exemple de diversité

On a appris récemment qu'il ne fallait pas s'attendre à grand-chose des conclusions de l'enquête nationale menée depuis plusieurs mois sur les femmes autochtones disparues. Cela déçoit grandement Sonia Bonspille Boileau. «En même temps, je ne suis pas surprise. Ce problème va bien au-delà d'une simple enquête. Ça repose surtout sur la relation entre les peuples autochtones et le Canada. Ça découle de plusieurs sphères et de plusieurs générations. C'est utopique de penser qu'une enquête va tout régler.»

Les débats des dernières semaines qui ont porté tous azimuts sur la diversité, l'appropriation culturelle, la liberté d'expression et la censure planent sur le plateau de tournage que dirige actuellement Sonia Bonspille Boileau. La réalisatrice et son producteur ont réussi à former des équipes de production et de comédiens qui sont des exemples d'inclusion et de diversité. Pour eux, l'objectif a été facile à atteindre.

«Nous tournons à Kanesatake et à Oka. On nous accueille à bras ouverts. La composition de l'équipe a été facile à faire. La moitié est composée de membres provenant de diverses communautés autochtones. On existe, on est là. Il y a un bassin de talents. Il suffit de s'ouvrir, de tendre la main. Dans ce débat sur l'appropriation culturelle, on voit trop les choses en noir ou blanc. Il y a une belle zone grise entre les deux qui invite à la collaboration. Je suis fière de mon plateau. On démontre que c'est très faisable.»

Kevin Parent en agent de la SQ

Lors de notre visite sur le plateau de tournage, une scène-clé du film était tournée. Il s'agit de celle où la mère de la jeune femme disparue, en compagnie de sa petite fille, est interrogée par un agent de la Sûreté du Québec (SQ) interprété par Kevin Parent.

«Ça fait quelques fois que je joue un policier, raconte-t-il après les différentes prises d'une même scène dans une chaleur suffocante. J'ai aussi joué un coroner dans The Calling. C'est un monde que je connais plutôt bien. J'ai quelques amis qui sont dans des corps policiers. C'est un univers que je peux comprendre, que je peux aimer. Le côté psychologique du métier me fascine. J'ai grandi avec l'idée qu'un policier, c'est d'abord et avant tout un agent de la paix.»

La scène tournée mardi a montré un personnage plutôt empathique. Kevin Parent s'empresse de préciser qu'il n'aura pas toujours cette couleur. «Il ne faut pas oublier que nous sommes en 1996, nous sommes dans l'après-Oka. Il y a une tension entre la SQ et la communauté. Mon expérience de tournée m'a fait visiter des communautés autochtones. Cette idée d'aller vers eux, je l'ai comprise.»

Huit années séparent la première expérience cinématographique de Kevin Parent dans Café de Flore, de Jean-Marc Vallée, et celle-ci. Pour celui qui a appris le métier de comédien sur le tard, l'expérience humaine d'un plateau est ce qui compte le plus. «C'est un énorme travail d'équipe, c'est ça qui m'intéresse. Et puis, plonger dans des univers très différents de mon quotidien, je trouve cela enrichissant. Mon travail, c'est de rendre ça crédible.»

Ces dernières années, Kevin Parent a alterné entre musique et cinéma avec un plaisir non dissimulé. Pour lui, ces deux mondes se conjuguent fort bien. «J'aime travailler, dit-il. Mon expérience de scène aide le jeu, et vice-versa. Pour le reste, je vis au jour le jour. Aujourd'hui, je fais du mieux que je peux. Et demain, je recommence. L'avenir fera ce qu'il a à faire.»

Photo Olivier Jean, La Presse

Le chanteur Kevin Parent est devenu agent de la Sûreté du Québec pour les besoins du film Rustic Oracle.