Le Liban peut compter sur ses réalisateurs les plus connus, Nadine Labaki et Ziad Doueiri, pour briller dans les festivals internationaux mais le pays est encore loin de s'appuyer sur une réelle industrie de cinéma.

Forte du succès de Caramel et de Et maintenant on va où?, Nadine Labaki entre dans la cour des grands cette année avec Capharnaüm, sélectionné en compétition pour briguer la Palme d'or lors du 71e Festival de Cannes (8-19 mai), aux côtés de Jean-Luc Godard ou Spike Lee.

C'est une première depuis 27 ans pour un film libanais: en 1991, Hors la vie de Maroun Bagdadi, le plus international des réalisateurs libanais, mort accidentellement en 1993, était en compétition (et remportera le prix du Jury).

Un autre film libanais a connu ces derniers mois un succès international: L'insulte de Ziad Doueiri, produit notamment par Julie Gayet. Le film du réalisateur de West Beirut et L'attentat était en lice pour l'Oscar du meilleur film étranger et a vu un de ses acteurs primé à Venise en 2017.

Avec Labaki, Doueiri mais aussi Philippe Aractingi (Bosta, Sous les bombes, Héritages), on évoque parfois un renouveau du cinéma libanais. Mais dans un pays où les structures de soutien du cinéma sont quasi-inexistantes, leur succès reste une exception.

«Besoin de studios»

Au Liban, «on peut parler de maturité dans le parcours de réalisateurs, mais pas d'industrie», affirme à l'AFP Hadi Zakkak, réalisateur et enseignant de cinéma.

«La participation à des festivals ne reflète pas un essor», confirme le cinéaste et expert Nadim Jarjoura. «Nous avons besoin de studios, de plus de sociétés de production et d'acteurs de cinéma» dans un pays où la télévision est reine, dit-il. Quant au soutien de ministère de la Culture, il est, selon lui, «risible».

Pendant des décennies, les cinéastes libanais ont dû collaborer avec des producteurs étrangers, notamment en France, ancienne puissance mandataire. Les plus connus ont d'ailleurs étudié ou vécu à l'étranger.

Aux obstacles s'ajoute la censure: la réalisatrice Danielle Arbid, qui vit à Paris, a vu plusieurs de ses films interdits dans son pays.

Même si, paradoxalement, ces cinq dernières années, le nombre de films locaux a augmenté, selon M. Zakkak, jusqu'à «20, 30 films par an, un record».

En touchant à la fois le grand public et les spectateurs plus cinéphiles, Doueiri et Labaki ont eux réussi à réconcilier «cinéma d'auteur et aspect commercial», pour M. Zakak. Et maintenant on va où? a ainsi fait 325 000 entrées au Liban, un record dans l'histoire cinématographique du pays.

Hantise de la guerre

Dans leurs thématiques, les films libanais restent hantés par la guerre civile (1975-1990) qui a ravagé le pays multiconfessionnel.

Dans les années 60, âge d'or du Liban, la scène était dominée par les films des frères Rahbani avec la diva Fairouz et le pays faisait ses premiers pas à Cannes avec les films de Georges Nasser (Vers l'inconnu). Avec le conflit, ils cèdent la place à ceux de Jocelyne Saab (Beyrouth, jamais plus (1976), de Borhane Alaouié (Beyrouth, la rencontre, 1981) et surtout de Bagdadi (Petites guerres, 1982).

Les années 90 restent axées sur la guerre (Beyrouth fantôme (1998) de Ghassan Salhab) puis des films tentent de s'en éloigner (Autour de la maison rose de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Cerf-volant de Randa Chahhal Sabbagh).

Mais depuis 10 ans, ce thème rattrape les cinéastes libanais, de Samir Habchi avec Beyrouth ville ouverte (2008) à Tramontane (2017) de Vatche Boulghourjian qui dépeint un Liban meurtri, en passant par Eliane al-Raheb qui met en face à face dans Nuits blanches (2013) un ex-milicien et la mère d'un combattant porté disparu.

Pour les experts, l'omniprésence de cette thématique s'explique par un travail de mémoire qui n'a pas été fait. «Les Libanais, estime M. Jarjoura, ne veulent pas se regarder dans un miroir et se mettre à nu pour voir les catastrophes qu'ils se sont infligés.»