Il arrivait en cours avec des cafards et a réalisé à l'école son premier court métrage, l'histoire d'un monstre gélatineux: bien avant de devenir le réalisateur nommé 13 fois aux Oscars pour son film The Shape of Water, Guillermo del Toro était déjà fasciné par les monstres et le cinéma.

Ses professeurs et amis à Guadalajara, sa ville natale dans l'ouest du Mexique, se souviennent d'un élève atypique à la créativité débridée, avec un penchant pour les créatures étranges, les inadaptés.

«On pouvait déjà deviner son imagination, sa manière toute fantastique de représenter la réalité» raconte Anne Marie Meier, une critique suisse de cinéma qui a rencontré Del Toro quand il avait 16 ans durant un atelier d'écriture de scénario qu'elle dirigeait.

«Il était passionné par les insectes» rit-elle. «Avec ses camarades ils avaient organisé la compétition de celui qui rapporterait le cafard le plus gros de Guadalajara. Parfois il arrivait en classe en lançant: "J'en ai trouvé un de 7 cm!"».

Il dévorait tout ce qui relevait de la culture populaire.

«Il lisait des BD, dessinait des romans graphiques et allait tout le temps au cinéma», se souvient-elle.

Premiers films

The Shape of Water raconte l'histoire d'une femme de ménage muette qui tombe amoureuse d'une étrange créature amphibie maintenue en captivité dans un centre de recherche top-secret du gouvernement américain.

Le film est notamment en lice ce dimanche pour l'Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Le photographe Mariano Aparicio se souvient parfaitement du court métrage Nightmare qu'ils ont réalisé ensemble à l'âge de 17 ans en format Super 8.

«C'était totalement absurde, mais très drôle à faire, dit-il à l'AFP. Ca parlait d'un monstre gélatineux qui sortait des toilettes et se mettait à courir partout dans notre école».

Ils ont tourné le film ensemble, se relayant derrière la caméra. Mais le scénario était de Del Toro.

«On devait envoyer le film aux États-Unis pour développer la pellicule. C'était une attente insupportable. Ensuite on le montait à l'aide d'un cutter spécial» explique le photographe.

Après Nightmare, Del Toro tourne Matilde, un film d'horreur qui se déroule dans la maison de sa grand-mère.

Ce film contient déjà sa marque de fabrique, un mélange de surnaturel et d'images de la dévotion catholique dans laquelle il a baigné durant son enfance.

La mère de Del Toro, Guadalupe, y tenait le premier rôle: une femme dans un fauteuil roulant qui finit par être engloutie par une sinistre fissure dans le mur.

Sa mère apparaîtra également dans un de ses films professionnels Geometria (1987) où figure également son père.

Terreurs et merveilles

Guillermo del Toro, 53 ans, vient d'un monde nourri des terreurs et merveilles des contes de fées.

Quand il était petit, son père a gagné à la loterie et a ensuite investi sa nouvelle fortune pour construire un empire de concessions automobiles.

Enfant, Guillermo s'est mis à construire un monde fantastique dans le majestueux manoir familial, tapissant les murs de sa chambre d'images d'extraterrestres et de monstres.

Mais, comme dans beaucoup de ses films, les vrais monstres dans l'histoire sont les humains, en particulier les personnes qui ont kidnappé son père en 1998, quand le réalisateur commençait à être connu à Hollywood.

La terrible épreuve a pris fin grâce à son ami James Cameron qui l'a aidé à rassembler une rançon de 1 million de dollars en liquide pour obtenir sa libération.

Depuis, Del Toro a déménagé toute sa famille aux États-Unis. Aujourd'hui il partage son temps entre Los Angeles et Toronto. «Mais au fond, il est toujours fondamentalement Mexicain», confie Meier.

«Ses protagonistes ont tous une faiblesse. (...) C'est typique du cinéma mexicain», dit-elle.

Malgré le succès, Del Toro est resté le même, doux, drôle et malicieux, disent ses amis. Il n'a toujours voulu faire qu'une seule chose: des films.

Leonardo Garcia Tsao, un critique mexicain, connaît Del Toro depuis qu'il a une vingtaine d'années.

Une année au Festival de Cannes, le critique s'est retrouvé dans une chambre d'hôtel à côté d'un voisin horriblement bruyant qui regardait sans cesse la télévision à plein volume.

Le journaliste tambourinait sans relâche contre le mur, mais rien à faire.

«Le lendemain matin, j'ai ouvert la porte, c'était lui,» dit-il en riant. «Guillermo était mon bruyant voisin».