Le film Mathilde, qui fait enrager les ultranationalistes en Russie, est projeté à Montréal.

«Je ne vois vraiment pas pourquoi les gens veulent interdire ce film en Russie», dit une dame dans la soixantaine. «Tout ce que ça montre, c'est que le tsar était un être humain», renchérit une autre spectatrice. Dans les toilettes du Cinéplex Forum du centre-ville, des Montréalaises d'origine russe se sont agglutinées autour des lavabos pour parler, dans leur langue maternelle, du film qu'elles venaient tout juste de voir.

Drame d'époque du réalisateur Alexeï Outchitel, Mathilde est au coeur d'une véritable tempête en Russie. Des groupes ultranationalistes orthodoxes ont demandé au gouvernement d'interdire la projection du film en affirmant que son propos était blasphématoire, voire hérétique, et pourrait «replonger la Russie dans le chaos».

Des députés ont même fait écho à leurs propos à la Douma. Un cinéma d'Iekaterinbourg a été incendié, de même que deux voitures garées devant le bureau des avocats du film à Moscou. Une vague d'appels à la bombe a aussi été attribuée aux opposants à la sortie du film.

Une histoire vraie

Le drame, campé dans la Russie impériale de la fin du XIXe siècle, raconte l'histoire d'amour entre le grand-duc Nikolaï Romanov - qui deviendra le tsar Nicolas II - et une ballerine du théâtre impérial Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Mathilde Kschessinska.

Cette danseuse d'origine polonaise n'a que 17 ans lorsqu'elle rencontre l'héritier du trône, de cinq ans son aîné. Fou d'amour pour la jeune femme, il lui promet de l'épouser, faisant fi de ses fiançailles avec une princesse allemande, Alix de Hesse. Puisque la ballerine n'est pas de sang royal, le prince se verrait dans l'obligation d'abdiquer s'il décidait de convoler en justes noces avec elle. «C'est une décision qui aurait pu changer l'histoire de la Russie», a expliqué le réalisateur en entrevue.

L'histoire d'amour interdit se déroule dans le décor fastueux des nombreux palais de la famille royale russe à Saint-Pétersbourg et à Moscou, ainsi que dans les coulisses de l'un des plus illustres théâtres du monde. Le film débute et se termine avec le couronnement de Nicolas II, dernier tsar de Russie. En filigrane, le contraste entre l'opulence dans laquelle vivent les Romanov, leurs obsessions mondaines et la pauvreté extrême qui sévit dans les campagnes de Russie.

Saint Nicolas II

Qu'est-ce qui fait controverse dans tout ça? Nicolas II, qui a été assassiné par les bolcheviks en 1918 avec toute sa famille, a été canonisé par l'Église orthodoxe en 2010. Les groupes ultranationalistes orthodoxes estiment, du coup, que c'est pure hérésie d'évoquer sa vie sexuelle au cinéma, et ce, même si les scènes d'amour n'ont rien de très olé olé - un sein nu, deux amants qui s'ébattent sous les draps, des regards de braise.

Pour ces groupes extrémistes, de plus en plus visibles en Russie, Nicolas II est un personnage sacré.

Certains vont jusqu'à affirmer que l'histoire d'amour n'a jamais eu lieu, malgré l'existence de preuves historiques. Pour la deuxième fois en 120 ans, certains souhaitent mettre l'amour du grand-duc Nikolaï pour Mathilde à l'index.

Malgré la controverse autour du long métrage et l'annulation de plusieurs projections en Russie au cours des derniers mois, les distributeurs du film au Canada, KinoFilm, n'ont pas hésité à lui faire traverser l'océan.

«Ce n'est pas la première fois que nous diffusons un film controversé depuis que nous avons commencé à faire venir des films russes au Canada, il y a trois ans. Nous essayons de ne pas juger nous-mêmes. C'est important de voir ces films. Ils alimentent la discussion après la projection, mais aussi sur le web», dit Alexandre Belyakov de KinoFilm, en entrevue avec La Presse. «De notre côté, nous n'avons pas reçu de menaces, seulement quelques commentaires négatifs», dit le distributeur, joint à Toronto.

Les intéressés devront faire vite s'ils veulent voir le long métrage: les quatre dernières projections de Mathilde à Montréal ont lieu aujourd'hui au Cinéplex Forum (en version originale sous-titrée en anglais à 14 h, 16 h 35, 19 h 10 et 22 h 30).