«C'est comme ça que ça fonctionne.» C'est ce qu'aurait déclaré il y a plusieurs années Harvey Weinstein à Sarah Polley, un actrice et cinéaste canadienne qui se trouvait à ce moment dans son bureau. Si la jeune femme, qui avait à ce moment 19 ans, acceptait d'avoir avec lui «une relation très intime», elle pourrait devenir une grande vedette et remporter de multiples prix.

Weinstein aurait alors ajouté qu'une actrice bien connue s'était un jour retrouvée à sa place et que son succès était attribuable à cette «relation intime», écrit Mme Polley dans un texte publié par The New York Times Saturday.

Mais Mme Polley n'était pas particulièrement intéressée à devenir une vedette ou à continuer comme actrice. «J'ai été vraiment chanceuse de m'en ficher», écrit-elle.

«C'est comme ça que ça fonctionne» est le petit secret honteux de l'histoire d'Hollywood, où des hommes puissants ont pu exploiter les rêves de gloire de nombreuses jeunes femmes. On disait même que la distribution des films se décidait sur le divan («casting couch», en anglais).

Et pourtant, maintenant que Weinstein a été emporté par une avalanche d'allégations de harcèlement sexuel et d'agressions, dont certaines vieilles de 30 ans, les appels au «changement» se multiplient soudainement dans la bouche de certains des membres les plus influents de l'industrie.

Mais peut-on espérer un changement véritable dans un milieu qui se vautre dans sa propre mythologie d'ambition, d'ego, d'art et d'argent, ouvrant toute grande la porte à un harcèlement sexuel systémique depuis aussi longtemps? Les agressions et la colère de Weinstein étaient légendaires, son agressivité était encensée, son attitude rebelle attirait les directeurs les plus audacieux et ses compagnies accouchaient de succès dont les grands studios n'auraient jamais voulu s'approcher.

En dehors des accusations publiques, est-ce que la structure hollywoodienne du pouvoir est vraiment intéressée à changer?

«Le leadership doit venir du sommet pour mettre fin au harcèlement», a dit Chai Feldblum, la commissaire de la Commission d'égalité d'accès à l'emploi des États-Unis.

Si le harcèlement sexuel est un fléau à travers le pays et dans plusieurs secteurs, l'industrie du spectacle est un environnement particulièrement difficile dans lequel le dénoncer, puisque la majorité de ceux qui y oeuvrent ne sont que des travailleurs indépendants ou des sous-traitants. Et souvent, le harcèlement sera le fait d'un patron, d'un directeur ou d'un producteur qui sera fréquemment considéré comme étant plus «utile» que son accusateur.

Le syndicat SAG-AFTRA, qui représente 160 000 acteurs et professionnels du monde des médias, s'est empressé d'annoncer qu'il redoublera d'efforts pour assurer la sécurité des femmes dans l'industrie. Il a aussi rappelé l'existence d'une ligne téléphonique où ses membres peuvent dénoncer des comportements inacceptables.

Le patron d'UTA, une des principales agences d'artistes d'Hollywood, a écrit dans une note transmise à ses employés que «UTA ne sera jamais silencieuse ou complice». Jeremy Zimmer ajoute que quiconque se sent inconfortable ou menacé, qu'il s'agisse d'un employé ou d'un client, peut se manifester sans crainte.

«Notre comportement doit refléter les normes d'éthique les plus élevées», a-t-il rappelé.

Le studio Warner Bros, le seul à avoir répondu aux demandes de commentaires de l'Associated Press, a assuré par voie de communiqué être déterminé à offrir «un milieu de travail libre de harcèlement et de représailles, y compris en ce qui concerne le harcèlement sexuel».

La majorité des studios, agences et autres gardent toutefois le silence. Dans son article dans les pages de The New Yorker, Ronan Farrow évoque «une culture du complot» concernant le comportement de Weinstein. Plusieurs estiment qu'il s'agit un secret de Polichinelle qui éclabousse tous les recoins de l'industrie.

Cathy Schulman, la présidente du groupe Women in Film, croit que la culture qui a permis à Weinstein de sévir pendant aussi longtemps est la même que celle qui exclut systématiquement les femmes et les minorités des positions de pouvoir, aussi bien devant que derrière les caméras. Elle demande aux studios et aux agences de se tenir debout.

«Ce sont ces gens qui décident du contenu qui sera financé, a-t-elle dit. Est-ce que tout ceci va les pousser au changement?»

D'autres militants suggèrent d'interdire que soient gardées secrètes les ententes de confidentialité ou celles intervenues en arbitrage - ce qui empêche plusieurs histoires d'agression ou de harcèlement sexuel d'éclater au grand jour.

Le journaliste David Poland, qui couvre le monde du cinéma pour Movie City News depuis longtemps, croit qu'on finira par en arriver à un compromis.

«Le monde des affaires recherche toujours le calme. Alors quelqu'un va inventer une norme qui sera réelle, mais que les victimes et leurs avocats jugeront insuffisante, et c'est ce qui sera dorénavant la norme dans l'industrie, explique-t-il. Et on peut espérer que ça aura un impact réel sur la prochaine génération de salauds.»

D'autres sont plus optimistes et croient qu'un véritable point tournant a été atteint, comme Gabrielle Carteris, la présidente du SAG-AFTRA.

«La chose la plus difficile concernant le changement est que ce n'est pas immédiat, dit-elle. Ça dure depuis des décennies, mais qu'est-ce qui fait que c'est maintenant d'intérêt public? C'est que les gens disent, «c'est assez».»