Précédé d'une rumeur sulfureuse, le film franco-belge Grave, brillant premier long-métrage de Julia Ducourneau, bouleverse les codes du film d'horreur et utilise le cannibalisme comme métaphore d'une société où l'on se dévore les uns les autres. L'avant-première présentée en exclusivité au Centre Phi affiche déjà complet !

PRIX FIPRESCI ET SAC À VOMI



C'est vieux comme le cinéma d'horreur, utiliser les réactions extrêmes des spectateurs pour créer le buzz autour d'un film. Et c'est un peu ce qui est arrivé à Grave de Julia Ducourneau, quand des articles ont été publiés à propos de gens qui s'étaient évanouis en le voyant au dernier Festival de Toronto, ou lorsqu'une salle de Los Angeles a distribué à ses clients des sacs à vomi juste avant la représentation de Raw (le titre anglais du film).

Mais Grave, c'est beaucoup plus qu'un banal film qui donne quelques frissons, puisqu'il a reçu, entre autres, le prix FIPRESCI (prix de la critique internationale) au dernier Festival de Cannes, le Grand Prix du jury au Festival de Gérardmer et une réception assez dithyrambique dans les médias partout où il est passé.

ÉVEIL SEXUEL DANS UN MONDE PRÉDATEUR



L'histoire raconte l'entrée de Justine (Garance Marillier), une brillante jeune fille, à l'école vétérinaire où sa soeur Alexia (Ella Rumpf) fait déjà partie des seniors. Leurs parents (Laurent Lucas et Joana Preiss) sont eux-mêmes des vétérinaires réputés, et aussi strictement végétariens.

La personnalité de Justine se transforme complètement lorsqu'elle est forcée de manger, pendant une initiation, un rein de lapin. Voilà que la timide jeune femme se découvre un appétit pour la chair humaine qui réveille aussi sa sexualité, alors qu'elle est attirée par Adrien (Rabah Naït Oufella), son voisin de chambre gai, vaguement bi s'il le faut. Julia Ducourneau prend un malin plaisir à mêler les corps d'animaux aux corps humains, tout en soulignant le caractère violent et sexiste des rites initiatiques universitaires, vus comme des passages obligés vers le conformisme.

CRONENBERG RENCONTRE BREILLAT

Dans ses entrevues, Julia Ducourneau cite volontiers David Cronenberg comme influence, mais les références de Grave sont nombreuses. La cinéaste a vu Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper quand elle avait 6 ans ! On reconnaît l'esthétique de Dario Argento, et on pense aussi à ce film saisissant, Dans ma peau, de Marina de Van, dans lequel une femme s'automutilait pour manger sa propre chair. Enfin, certaines scènes assez frontales - notamment celle de l'épilation pubienne entre soeurs - évoquent le cinéma de Catherine Breillat. Hypnotique et étonnant, Grave réserve au public de nombreux chocs visuels. La cinéaste elle-même a été étonnée de voir les variations de dégoût chez les spectateurs qui réagissent selon leurs propres tabous.

INTERDIT AUX MINEURS

Le film Grave a été interdit aux moins de 18 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais, plus surprenant, aussi aux moins de 16 ans en France, où d'habitude on est un peu plus ouvert qu'ailleurs sur les restrictions envers le jeune public. Le motif ? « Ce film accumule les scènes de meurtre et de cannibalisme impressionnantes qui ne sont pas appropriées à un public jeune en dépit d'une volonté de second degré. »

« Il y en a cent fois moins que dans les thrillers américains », a noté Julia Ducourneau en entrevue à Télérama. « Le film semble être pris pour une menace. Est-ce dangereux de regarder notre société en face ? » Soulignons que les « films de cannibales » ont souvent été, plus que d'autres films d'horreur, l'objet de censure, de Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, en passant par Cannibal Ferox d'Umberto Lanzi (le record du film le plus censuré dans le monde !), jusqu'au récent Green Inferno d'Eli Roth. La preuve que le sujet demeure tabou au cinéma (mais régale encore les amateurs).

CANNIBALE RADICALE



« Dans le film, j'envisage le cannibalisme comme une rébellion, a confié Julia Ducourneau à Télérama. Il faut obéir au corps social. Dans ce contexte, le geste cannibale est de l'ordre du punk, du refus de l'indifférenciation sociale. » On ne peut que saluer l'audace formelle et symbolique de ce premier film, audace qui lui viendrait, selon la cinéaste, de ses parents médecins qui avaient envers le corps un rapport « trivial ». « Au cinéma, la sexualité des jeunes filles est toujours montrée de manière érotisée, volontiers glamour, et jamais dans sa trivialité, dit-elle. Tout le monde fait toujours semblant que le corps est propre ou que les gastros n'arrivent qu'aux autres. » Bref, accrochez-vous, parce que Grave risque de gravement vous remuer les tripes !

Grave, de Julia Ducourneau, présenté le 19 mai au Centre Phi, en présence de l'acteur Laurent Lucas, à 19 h 30.

Photo fournie par Focus Features

Affiche de la version anglaise de Grave, de Julia Ducourneau. Le film a été interdit aux moins de 18 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais, plus surprenant, aussi aux moins de 16 ans en France.

Photo fournie par Focus Features

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