Avec son décor art déco aux associations de couleurs audacieuses, le cinéma Thwin de Rangoun est un vestige de l'âge d'or du 7e art birman, qui renaît après des décennies de traversée du désert.

Ce renouveau passe par la construction de salles obscures modernes, avant même d'évoquer la renaissance des studios et la nouvelle génération de réalisateurs.

Car, de 400 salles dans les années 1950, l'ex-colonie britannique, mise à genoux par des décennies de junte, est tombée à une cinquantaine.

«Ce n'est pas assez pour un pays de 53 millions d'habitants», se désole Tin Maung, un entrepreneur birman qui était jusqu'ici dans l'audiovisuel.

Il ambitionne de construire cent nouveaux cinémas d'ici deux ans.

Le Thwin est le seul cinéma qui subsiste sur l'avenue Bogyoke de Rangoun, la dynamique capitale économique, dans un quartier qui comptait autrefois six cinémas à lui seul. La plupart ont été reconvertis en commerces plus lucratifs, et certains sont en ruine, comme nombre de bâtiments historiques de Rangoun.

Car pendant les décennies de junte (jusqu'en 2011), le cinéma a périclité: la censure a desséché les scénarios et l'absence de moyens alloués à la culture en dehors des films de propagande a assommé le secteur.

Tin Maung et ses partenaires ont lancé ce «projet des 100 cinémas» après avoir été inspirés par l'exemple d'un film tourné en 2012 à la frontière avec la Thaïlande voisine. Les acteurs amateurs de cette région rurale n'ont jamais pu voir leur oeuvre, faute de salle de projection...

«Nous avons alors eu l'idée de construire des cinémas à travers toute la Birmanie», explique Tin Maung, devant une maquette des cinémas à bas prix qu'il veut construire, avec 300 places par salle.

Sortie directe en DVD

Loin des salles des multiplexes ultra-modernes des mégalopoles asiatiques plus développées que Rangoun, ces salles doivent permettre au public birman de renouer avec les salles obscures, dans ce pays où les films sortent souvent directement en DVD.

À la grande époque du cinéma birman, dans les années 1950, dans un pays bercé par les espoirs d'une indépendance fraîchement acquise, les Birmans se pressaient pour voir films d'amour ou thrillers étrangers, calés sur leurs sièges en teck.

Mais ensuite, pendant les années noires de la junte, les films étrangers ne passaient pas aisément le filtre de la censure, obéissant à des règles bizarres comme le fait qu'aucun jeans ne devait apparaître à l'écran.

Les films de fantômes, grande passion en Birmanie comme dans les pays voisins, étaient également interdits.

«La qualité n'a fait que baisser», se souvient Mighty, un réalisateur de 51 ans ayant l'impression que sa génération a été privée de moyen d'expression.

«Ils ont fait tout ça délibérément, afin que nous ne devenions pas éduqués», dit-il, très critique de la junte qui a finalement accepté de céder le pouvoir à l'opposante Aung San Suu Kyi, aux manettes depuis mars d'un gouvernement civil élu.

Films d'horreur et comédies

Depuis l'autodissolution de la junte en 2011, films d'horreur et comédies sont les plus gros succès du box-office.

À l'école de cinéma de Rangoun, la Yangon Film School, les étudiants ne mâchent pas leurs mots quant aux productions birmanes actuelles, proches des mauvaises séries télé.

«Ils ne sont pas mauvais techniquement... Mais ce que je ne supporte pas, ce sont les histoires et les acteurs. Ils ne font que des histoires à l'eau de rose», critique ainsi Myat Minn Khant, un étudiant rencontré lors d'un cours consacré à l'analyse du classique américain Taxi Driver.

La liberté de parole reste en outre limitée, dans un pays en pleine transition démocratique où l'armée reste un acteur politique important. Le gouvernement d'Aung San Suu Kyi a ainsi interdit cette année la projection d'un film critique de l'armée.

«Le plus important, c'est d'avoir une nouvelle réglementation du secteur du film», explique Lu Min, un des acteurs birmans les plus populaires, entre deux scènes du tournage de son dernier film d'action.

Il reconnaît les failles du secteur après tant d'années de limitations, mais souligne le grand appétit de changement. «Le temps du changement est venu», dit-il. C'était d'ailleurs le nom d'un récent forum ayant réuni des centaines de professionnels du secteur à Rangoun.

Pour Lu Min, ce changement passe par le retour du public dans les salles obscures. «C'est très important: notre industrie du film va dépendre du nombre de cinémas» où voir les films locaux.