La fermeture des trois salles de l'Excentris inquiète les artisans et distributeurs du cinéma d'auteur qui y voient la perte d'un tremplin pour la diffusion des oeuvres, qu'elles soient québécoises ou étrangères.

Or, cette fermeture s'inscrit dans une tendance lourde qui touche l'ensemble des salles de cinéma québécoises. Ainsi, entre 2010 et 2014, le nombre de spectateurs a reculé de 7,3 millions à 5,8 millions dans les salles de cinéma à Montréal. Pour l'ensemble du Québec, l'assistance a baissé de 23,9 à 18,9 millions de spectateurs. Quant au nombre de cinémas actifs dans tout le Québec, il est passé de 108 en 2008 à 93 l'an dernier, une baisse de 14%.

«Si Excentris ferme, ça va faire mal. Car si nous n'avons pas les lieux pour montrer des films, ce sera la fin de notre industrie, s'inquiète Andrew Noble, vice-président du distributeur Filmoption et membre du conseil d'administration de l'Excentris. Je ne connais pas de distributeur qui va acheter des films uniquement pour les salles en région.»

«On a un urgent besoin de salles, indique pour sa part le distributeur Armand Lafond (Axia Films). Il n'y a presque plus de salles pour la cinématographie qu'on présente. On peut avoir un film qui marche bien, mais en raison de la réduction du nombre de salles, l'exploitant subit une pression énorme pour faire de la place.»

Selon lui, une des solutions est d'ouvrir des complexes d'au moins cinq salles et non trois comme à l'Excentris. «Que ce soit pour trois ou cinq salles, on peut travailler avec le même personnel. C'est une façon de se rentabiliser», assure-t-il.

«Certains croient qu'ils peuvent tout regarder en ligne. Ça ne fonctionne pas comme ça, s'emporte de son côté Louis Dussault, de K-Films Amérique. Si les gens voient des films sur leur ordinateur, c'est parce que nous les avons programmés en salle auparavant.»

Optimisme

De nombreux autres intervenants à qui La Presse a parlé affichent néanmoins de l'optimisme. C'est le cas de Raffaele Papalia, président de Ciné-Entreprises (réseau de salles en région) et de l'Association pour le cinéma sur grand écran (ACGE).

«L'exploitation des salles de cinéma a un très bon avenir, assure-t-il. La nature de notre business est qu'on est aussi bons que les produits qui nous sont offerts. Or, 2015 sera une bonne année parce que les films sont très bons. En région, nous sommes en avance de 10% sur les chiffres de l'an dernier. Si on a de bons films, on est capables d'attirer les cinéphiles.»

Président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc croit que le film d'auteur peut trouver son public en cohabitant dans des complexes multisalles où sont projetées des superproductions.

«Partout où je me déplace, l'offre se fait dans une logique de multisalles, avec des majors dans les grandes salles et des films plus nichés dans les plus petites. Ces films bénéficient de facto du fait que le dernier Star Wars ou le dernier James Bond se trouve dans la salle d'à côté.»

Autre signe d'optimisme, il y a cinq projets de salles de cinéma en cours, uniquement à Montréal, indique Claude Chamberlan, fondateur du cinéma Parallèle et du Festival du nouveau cinéma. Ces projets sont situés dans les quartiers de la Petite Italie, de Notre-Dame-de-Grâce, d'Hochelaga-Maisonneuve et du Mile End.

Un de ces promoteurs, Sylvain Raymond, du projet de Théâtre de la Petite-Italie, une salle de 130 places, estime qu'il y a de l'avenir pourvu qu'on offre au spectateur ce qu'il recherche. Or, ce que le spectateur recherche, argue-t-il, ce sont des endroits plus décontractés.

«L'avantage de notre formule est qu'on aborde l'expérience de cinéma comme quelque chose de très différent [salle sans rangées, bistro adjacent, alcool] de ce qui se fait actuellement», dit M. Raymond, qui reconnaît que le montage financier de son projet est toujours à conclure. «Dans la majorité des salles, l'expérience cinématographique est figée dans le temps. On ne s'arrime pas aux nouveaux comportements des spectateurs.»

Pour M. Raymond, la compétition ne vient pas des autres salles, mais des plateformes numériques (Netflix, Apple) qui offrent beaucoup de contenu en un seul clic. «Lorsqu'on regarde l'ensemble de la consommation de cinéma, elle n'est pas en baisse. Donc, cela signifie que le problème n'est pas le produit, mais l'expérience», dit-il.

Cinéaste, producteur et distributeur, François Delisle ne voit pas les plateformes comme une menace. Pour lui, il faut profiter de l'effervescence entourant la sortie d'une oeuvre pour la lancer partout en même temps. «La sortie en salle pour un film d'auteur au Québec devrait être simultanée avec sa diffusion sur le web ou sur une autre plateforme, dit-il. De sorte que la promotion faite avant la sortie nourrisse autant les entrées en salle que les visionnements numériques.»

La SODEC intervient

Des nombreuses personnes interviewées pour ce dossier, chacune avait son analyse pour expliquer la désaffection du cinéma en salle à Montréal. Vincent Guzzo, président de l'Association des propriétaires de cinémas du Québec, affirme que les taxes foncières sont beaucoup trop élevées dans le centre-ville de Montréal pour ouvrir une salle. De l'Université Concordia, le professeur de cinéma Thomas Waugh estime que les festivals de niche drainent le public qui, autrefois, fréquentait les salles dites d'«art et essai».

Mais de façon assez unanime, tout le monde semble s'accorder pour dire qu'il y a des failles dans le domaine de la distribution des oeuvres. Ce que reconnaît la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). D'ailleurs, sa présidente, Monique Simard, a indiqué en entrevue avec La Presse que l'organisme fera passer, dès janvier 2016, son aide annuelle à la distribution de 3,5 à 5 millions de dollars.

Cela se fera par l'entremise de différents programmes. Ainsi, l'aide maximale accordée aux entreprises pour la distribution des films québécois passera de 15 000 à 37 500$. Cette aide est accordée en fonction du plan de mise en marché que le distributeur soumet au préalable à la SODEC. Le bénéficiaire doit aussi rendre des comptes une fois la distribution terminée.

Voilà une nouvelle qui devrait réjouir Vincent Guzzo, qui nous a dit en entrevue que la SODEC devrait répartir plus d'argent à la distribution en région.

«Si, au lieu de mettre des millions dans Excentris, les institutions mettaient de l'argent dans un fonds pour aider les petits distributeurs à payer les copies pour les salles en région, on les jouerait et il y aurait moins de risques de pertes. On essaierait de bâtir ce créneau-là, dit-il. C'est déjà ce qu'on fait dans notre cinéma de Pont-Viau et ça fonctionne.»