«On utilise ma musique, et après, on m'insulte!» La chanteuse inuite Tanya Tagaq n'en revenait pas lorsqu'elle a reconnu ses chants de gorge, utilisés sans son consentement, dans le documentaire of the North du cinéaste Dominic Gagnon. Un film «raciste» qui «stigmatise et discrédite notre culture», a affirmé l'artiste en entrevue avec La Presse.

La chanteuse canadienne, lauréate du prix Polaris l'an dernier, a commencé à exprimer le «dégoût» que lui inspire le film sur les réseaux sociaux mardi. Elle avoue avoir été tellement choquée par of the North qu'elle ne l'a pas regardé jusqu'au bout.

Elle accuse d'«irresponsabilité» les organisateurs des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui ont diffusé le film deux fois la semaine dernière.

of the North est un montage d'extraits vidéo que des membres de la communauté inuite ont eux-mêmes mis en ligne sur YouTube. Dans ce film sans narration réalisé par Dominic Gagnon, on peut voir des scènes de la vie quotidienne, mais aussi des scènes violentes, de chasse et de dépeçage d'animaux, de personnes en état d'ébriété et des images pornographiques.

«Je ne me suis jamais donné pour mission de rendre compte de tous les aspects de la culture des communautés inuites, se défend le cinéaste. Mon parti pris était de montrer ce que les gens ont librement choisi de diffuser, sans jugement, même si ce n'est pas politically correct

«Je ne fais pas des films sur les gens, mais sur des gens qui se filment. Ce n'est pas la même chose.»

Depuis sa diffusion en Suisse, au mois d'avril dernier, c'est la première fois que le film soulève la controverse, jure le cinéaste. «Toutes les critiques qu'on m'adresse en ce moment - que je serais un Blanc suprémaciste ou un raciste -, il me semble que c'est tout ce que j'ai essayé de dénoncer dans mon film. Si les images étaient aussi dures qu'on le dit, on les aurait retirées de plateformes de visionnement comme YouTube.»

Dominic Gagnon, qui ne connaissait pas Tanya Tagaq avant de lire ses commentaires sur Twitter, a consenti à retirer de son film la voix de la chanteuse, à la demande de celle-ci.

«J'ai fait des échantillonnages à partir des vidéos de chants de gorge que j'ai trouvés et que je croyais libres de droits. J'ai crédité toutes les vidéos à la fin de mon documentaire. Mais j'ai accepté de retirer sa voix», a-t-il confirmé.

Les RIDM défendent le cinéaste

Hier, la direction des RIDM a publié un communiqué où elle prend la défense du cinéaste, qui compte une vingtaine de films à son actif et qui utilise cette technique de «collages» depuis 2008. «Loin de voir of the North comme une oeuvre raciste, nous l'avons programmé comme un discours critique sur le colonialisme et ses impacts encore dévastateurs à ce jour», peut-on y lire.

«Nous sommes conscients de la dureté des images présentes dans le film et regrettons sincèrement qu'elles aient offensé une partie du public, poursuit la direction des RIDM. Nous reconnaissons que nous aurions dû contextualiser davantage l'oeuvre et la démarche du cinéaste, au-delà de l'habituelle période d'échange entre l'auteur et les spectateurs que nous offrons après chaque projection, et offrir un meilleur espace de discussion afin que tous les points de vue puissent être exprimés.»

Tanya Agaq s'est dite «déçue» de ce communiqué publié par les RIDM, appelant plutôt la direction du festival à prendre ses responsabilités.

«Pour être franche, je m'en fous, du cinéaste, affirme-t-elle. Je voyage dans le monde, je sais ce qu'est l'art et il y a partout des artistes qui font de la merde. Je ne peux pas les en empêcher. J'en veux aux directions de festivals qui font des choix de programmation douteux et irresponsables.»

Selon elle, le film de Dominic Gagnon contribue à renforcer les stéréotypes et la faible opinion que les Inuits et les autochtones ont d'eux-mêmes.

«Ce sont des images comme celles-là qui encouragent la violence vis-à-vis des membres les plus vulnérables de nos communautés. La direction du festival devrait être consciente de cela.»

Dominic Gagnon, qui n'est jamais allé au Nunavut, mais qui dit avoir travaillé dans le nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique quand il avait 20 ans, n'est pas d'accord. «Moi, ce que j'entends, c'est qu'il n'y a pas de problèmes d'alcool dans le Nord. Pas de problèmes de violence, avec l'industrie ou le réchauffement climatique, que tout va bien. Eh bien, je m'excuse, mais je n'y crois pas», insiste le réalisateur.

Mais la chanteuse inuite n'en démord pas. «Il n'y a aucun contexte historique dans ce film, aucune explication, aucun raisonnement. Ce ne sont que des images sensationnalistes qui montrent le pire du pire. Comment croyez-vous qu'on se sent? Les gens qui ne comprennent pas notre indignation n'ont pas à vivre quotidiennement avec les statistiques - de dépendance aux drogues et de suicide. Nous, on doit se battre tous les jours contre ça.»