Un Oscar à Hollywood, un Ours d'argent à Berlin et un public qui revient en masse dans les salles après des années mornes: le cinéma polonais fait un retour spectaculaire avec une vague de metteurs en scène talentueux.

«En recevant l'Ours d'argent, je me suis dit qu'on était en train de vivre une époque formidable pour le cinéma polonais, et que je n'étais pas seule, puisqu'Ida allait très vraisemblablement recevoir un Oscar», se rappelle en souriant la réalisatrice Malgorzata Szumowska, 42 ans, connue notamment pour Aime et fais ce que tu veux et Elles, avec Juliette Binoche.

Avec Body, son film déroutant entre le drame et la comédie sur les relations des gens avec leur corps et celui des autres, sur la mort et l'au-delà, elle a reçu une troisième statuette d'argent à Berlin dans l'histoire du cinéma polonais, après Krzysztof Kieslowski (1994) et Roman Polanski (2010).

Quelques jours plus tard, l'Oscar du meilleur film en langue étrangère décerné à Ida de Pawel Pawlikowski, une oeuvre intimiste en noir et blanc, a provoqué une euphorie en Pologne.

Au box-office, le film a été remarqué notamment en France et aux États-Unis, avec dans chaque pays un demi-million d'entrées. Ce film racontant l'histoire d'une jeune femme qui découvre qu'elle est juive au moment où elle se prépare à entrer au couvent à l'époque communiste, a aussi attiré quelque 215 000 spectateurs en Pologne. Touchant à des tabous concernant les Juifs dans ce pays, il y a provoqué un vif débat.

La liste des succès récents du cinéma polonais est bien plus longue: un prix spécial à Berlin pour Performer de Maciej Sobieszczanski, trois autres nominations aux Oscars et des dizaines de prix dans des festivals à travers le monde.

«Avec le retour à la liberté en 1989, après la chute du communisme, la cinématographie d'État a cessé d'exister. Le cinéma s'est enfoncé dans la crise, et nous voilà témoins de sa renaissance», s'est réjoui la légende du cinéma polonais Andrzej Wajda, 88 ans, après l'Oscar pour Ida.

La crise a duré près de deux décennies. Andrzej Wajda lui-même et d'autres qui avaient connu la gloire dans les années 1960-80 comme Krzysztof Zanussi ou Krzysztof Kieslowski, tous issus de la célèbre École de cinéma de Lodz, n'ont pas su s'adapter aux nouvelles réalités.

«Une génération perdue»

Après 1989, les jeunes réalisateurs ont été pratiquement bloqués, faute d'un système de financement viable. Beaucoup se sont tournés vers la publicité ou les séries télévisées.

«À l'époque, la réalisation d'une pub rapportait plus qu'un long métrage. La génération qui débutait a été happée par l'économie de marché. C'est une génération perdue pour le cinéma», estime Agnieszka Odorowicz, directrice de l'Institut polonais du cinéma (PISF).

À l'origine des succès du cinéma polonais, cette institution, créée en 2005, a été largement inspirée du système français.

Les principaux acteurs du secteur contribuent au budget du PISF à la hauteur moyenne de 1,5% de leurs revenus. Chaque année, l'institut dispose d'environ 35 à 40 millions d'euros qu'il investit dans des films, mais également dans l'éducation ou dans la modernisation des petits cinémas.

«Aujourd'hui, on a un des meilleurs systèmes de financement en Europe», estime Mme Szumowska.

Le PISF mise sur de nouveaux talents. «Il est beaucoup plus facile pour un jeune réalisateur de commencer en Pologne qu'en France, où le système est très patriarcal», explique Rafael Lewandowski, un franco-polonais de 44 ans. Ancien étudiant à la Fémis à Paris, il a notamment réalisé en 2011 La dette (Kret).

«Depuis sa création, le PISF a financé plus de 130 films de débutants», confirme Mme Odorowicz.

Le public a suivi. Après 1989, le terme «film polonais» était devenu une expression ironique, synonyme d'un film ennuyeux, mal réalisé, sans valeur artistique. Les salles se vidaient.

Depuis cinq ou six ans, les spectateurs polonais plébiscitent les films made in Poland.

«En 2005, lorsque le PISF a été créé, les films polonais ont attiré quelque 700 000 personnes, soit moins de 2%» du public, se rappelle Mme Odorowicz. L'an dernier, ils étaient 11 millions, soit 27,5%.

M. Lewandowski est optimiste sur l'avenir du cinéma polonais. «Il y a de vraies individualités qui ont le courage de parler de leur propre voix, quitte à ne pas plaire à tout le monde», dit-il. Et «la Pologne est une mine, toujours complètement sous-exploitée, de sujets et de personnages» hors du commun.