Avec The Cut, Fatih Akin, figure de proue du cinéma allemand, boucle sa trilogie sur l'amour, la mort et le diable. Après avoir exploré le pays de ses parents, la Turquie, il veut désormais sonder le pays où il est né, l'Allemagne.

Les deux premiers volets, Head-on (Ours d'or à Berlin en 2004) et De l'autre côté (prix du scénario à Cannes en 2007), se déroulaient de nos jours, entre Allemagne et Turquie. The Cut (La blessure) effectue un bond en arrière d'un siècle et plonge dans le génocide arménien.

«Avec chacun des films de cette trilogie, je me suis rapproché du pays de mes parents», déclare à l'AFP le réalisateur de 41 ans, né à Hambourg de parents venus des bords de la mer Noire en Turquie. «J'ai atteint un stade où j'ai besoin de passer à autre chose».

«Je suis un citoyen européen, je dois à présent me pencher sur l'Europe, dont je vois le coeur démocratique se déliter», ajoute-t-il, en référence à la montée de l'extrême droite dans plusieurs pays européens et aux défilés en Allemagne organisés par le mouvement anti-islam et anti-réfugiés Pegida.

Fatih Akin en est au tout début, mais son prochain film portera sur «la démocratie à l'époque contemporaine, en Europe».

Son dernier long-métrage, qui sort en salle en France mercredi, en Suisse le 28 janvier et en Belgique en avril, démarre en Anatolie. Le forgeron Nazaret Manoogian (incarné par le Français Tahar Rahim, le jeune homme du «Prophète») est arraché à sa famille par l'armée turque et envoyé dans le désert, avec d'autres Arméniens, casser des cailloux dans le désert, jusqu'à épuisement.

Il parvient à s'échapper et se lance sur les traces de ses enfants, qui ont échappé au génocide arménien, une quête qui dure plus de dix ans et le mène de pays en pays.

Sortie limitée en Turquie

Le film sort peu avant les commémorations du centenaire du génocide, reconnu par plusieurs pays, dont la France, mais pas par la Turquie. L'Allemagne, elle, a condamné les massacres, mais n'utilise pas le terme «génocide».

The Cut est sorti cet automne en Turquie, dans 24 cinémas de villes universitaires, une sortie limitée, car plusieurs exploitants de salles ont refusé de le programmer. Mais le gouvernement, lui, n'a rien empêché, indique le réalisateur.

«Ils ont compris que s'ils faisaient des histoires, ça ferait de la publicité au film. Ils l'ont laissé sortir».

«Les choses évoluent» en Turquie, où l'expression «génocide arménien» a été longtemps complètement tabou. «J'aurais eu bien plus de problèmes» avec un sujet pareil «il y a cinq ou six ans», dit-il.

En avril, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan --devenu depuis président-- avait présenté les «condoléances» de l'État turc aux petits-enfants des Arméniens massacrés en 1915, sans utiliser toutefois le mot «génocide».

Les réactions du public ont été mitigées. Certains spectateurs demandaient au réalisateur, présent lors de projections, qui l'avait payé pour faire ce film. D'autres, moins nombreux, l'ont soutenu, ainsi que plusieurs réalisateurs turcs.

En souriant, le cinéaste dit avoir «payé un prix». Lors de ses séjours dans le pays de ses parents, des badauds l'arrêtaient dans la rue, en raison de sa notoriété, et l'invitaient à manger un morceau. «C'est beaucoup moins le cas maintenant», dit-il.