Née avec le 7e Art, l'utilisation de la pellicule se consume à mesure qu'évolue la technologie numérique: sa disparition programmée des plateaux de tournage est au coeur d'un documentaire produit par Keanu Reeves sur cette mutation irréversible qui touche l'industrie du cinéma.

Réalisé par Christopher Kenneally, Side By Side retrace avec minutie la prise de pouvoir croissante du «digital» et identifie les raisons de la mise en marge progressive du format 35 mm, contraint de déposer les armes face aux progrès constants de son alter-ego ultramoderne.

«Je respecte le numérique mais je continue de croire à un idéal de cinéma en 35 mm. La pellicule doit rester une option pour le cinéaste», a confié jeudi à l'AFP l'acteur star de la trilogie Matrix Keanu Reeves, venu présenter à Lyon lors du Festival Lumière ce film dans lequel il tend le micro aux acteurs de l'industrie cinématographique.

«Avec le numérique, le spectateur perd ce rapport à l'image qui fait la magie du cinéma. Pour les gens plus âgés comme moi, aller voir un film signifiait autre chose», a ajouté l'acteur canadien.

Dans quelle mesure ce basculement vers le «digital» révolutionne-t-il le cinéma? À cette question, Keanu Reeves et Christopher Kenneally se contentent d'apporter des éléments de réponse didactiques et sans prendre parti, laissant aux nombreuses personnalités du 7e Art interrogées le soin d'orienter le débat.

Nourri d'extraits de longs métrages qui illustrent son propos, le documentaire dresse un inventaire précis des plus-values apportées par le numérique, au premier rang desquelles figure la baisse des coûts de production.

Mutation silencieuse

Side By Side évoque également les adaptations parfois douloureuses nécessaires à l'absorption de cette mutation «silencieuse» d'un bout à l'autre de la chaîne de production, forcée de se renouveler.

«Elle a notamment fait évoluer le rythme des tournages, la hiérarchisation des tâches et redéfinit le langage visuel du film», explique Christopher Kenneally, dont le documentaire prédit la fin de la pellicule argentique «d'ici à cinq ans».

Entre 2010 et 2011, Christopher Kenneally et Keanu Reeves sont allés à la rencontre de dizaines de témoins de cette métamorphose impliqués dans les différentes étapes de la réalisation d'un long métrage: directeurs de la photographie, monteurs, producteurs ou encore diffuseurs.

Apparaissent également au générique du documentaire plusieurs «monstres sacrés» de la réalisation tels Martin Scorsese, Lars Von Trier, David Lynch, Christopher Nolan, Danny Boyle, David Fincher ou encore James Cameron.

Dans une séquence du film, l'auteur de Titanic détaille pourquoi il a vu avec l'apparition du numérique «les portes du 7e Art s'ouvrir à d'innombrables possibilités». «C'est excitant car on assiste à l'invention d'un nouveau média. Mais ce n'est qu'un nouvel instrument», analyse quant à lui Martin Scorsese.

«Tous ont évoqué le sujet avec beaucoup de passion. Avec David Fincher, nous avons même discuté pendant près de 2h30», raconte Keanu Reeves, rappelant que le numérique a permis à certains réalisateurs de «laisser libre cours à leur imagination» et de développer aussi bien leur style que leur «propre univers».

«C'était très intéressant de constater de quel côté penchent les uns ou les autres. Au fur et à mesure des entretiens, notre opinion sur la question évoluait également», précise Christopher Kenneally.

Quel pérennité pour le numérique?

Side By Side pointe également le problème de la pérennité encore mal évaluée de l'archivage des données numériques - le temps n'affectant que très peu les bobines de pellicules - et pose la question de la démocratisation du 7e Art auprès du grand public, l'avancée des technologies ayant rendu «le point d'entrée du cinéma plus accessible», ajoute le cinéaste.

«Aujourd'hui, vous pouvez disposer de tous les outils du 7e Art chez vous ou sur votre smartphone. Le développement de son langage infiltre notre quotidien. Les gens font leur cinéma et c'est aux scénaristes de contrer cette tendance ou de s'en servir», analyse Keanu Reeves.

«Tout le monde possède un stylo et une feuille de papier. Mais combien de belles histoires y seront écrites? C'est la même chose pour le cinéma», élude David Lynch dans le film.

Présenté pour la première fois en 2012 au Festival de Berlin, Side By Side n'a pas été distribué en France.