Dans Avant l'hiver, le bonheur d'un éminent neurochirurgien est soudainement remis en question à la faveur d'un incident en apparence anodin. L'écrivain et cinéaste Philippe Claudel a écrit ce film spécialement pour Daniel Auteuil en évoquant du même coup le cinéma de Claude Sautet. L'acteur y est entouré de Kristin Scott Thomas, Richard Berry et Leïla Bekhti.

Il l'admet d'emblée: le cinéaste a maintenant pris le pas sur le romancier. Philippe Claudel n'abandonne pas le monde de la littérature pour autant. Ni ne réfute l'idée de publier d'autres romans. Mais l'auteur du Rapport de Brodeck (Prix des libraires du Québec en 2008) est davantage habité par le monde du cinéma depuis quelques années. Après Il y a longtemps que je t'aime et Tous les soleils, il propose aujourd'hui Avant l'hiver, un film que n'aurait pas renié Claude Sautet tant la manière évoque celle du regretté cinéaste.

«J'ai maintenant le sentiment d'avoir plus de choses nouvelles à exprimer sous une forme cinématographique que sous une forme littéraire, a confié l'écrivain-cinéaste lors d'un entretien accordé à La Presse à la faveur d'un court passage à Montréal, la semaine dernière. Et puis, j'ai moins envie d'écrire des romans depuis la mort de Jean-Marc Roberts l'an dernier. En plus d'être mon éditeur, Jean-Marc était mon meilleur ami. Son départ m'a fait beaucoup de peine. Depuis, mon esprit est davantage habité par des histoires de cinéma.»

De nouvelles préoccupations

Maintenant âgé de 52 ans, Philippe Claudel est animé de nouvelles préoccupations. Auxquelles il fait d'ailleurs écho dans son plus récent film, dont la racine comporte des relents autobiographiques.

«Une fois franchie la cinquantaine, on se rend compte qu'il reste probablement moins de temps devant qu'il y en a eu derrière, fait-il remarquer. Aussi faut-il bien choisir ses histoires, car on y investit quand même au moins deux ans de sa vie. Le point de départ d'Avant l'hiver est venu d'une conversation entre amis, notamment avec le musicien Jean-Louis Aubert. On se disait que les gens nous imaginaient mener des vies de rêve et que, oui c'est vrai, bien souvent nos vies se révèlent très excitantes. La notoriété, le succès, les voyages et tout ça, c'est parfois grisant. Dans ces circonstances, il devient bien difficile d'oser dire que tout cela ne correspond pas obligatoirement au bonheur. C'est-à-dire que si j'avais à choisir, mon bonheur se matérialiserait probablement davantage dans les choses plus simples, plus quotidiennes. Mais si je le dis, je passe évidemment pour un enfant gâté!»

Au début, le cinéaste s'est attelé à l'écriture d'un synopsis d'une dizaine de pages, rédigé spécifiquement pour Daniel Auteuil. Du jour où il a eu l'idée de l'histoire, Philippe Claudel n'a plus vu dans son esprit que cet acteur dans le rôle.

«Des collègues scénaristes et cinéastes m'avaient pourtant prévenu: ne jamais entreprendre l'écriture d'un scénario en pensant à des acteurs de façon très précise. Et en effet, je vous le confirme, il ne faut jamais faire ça! Quand Daniel a lu le synopsis, il m'a dit que même s'il avait été beaucoup touché par la lecture, il ne pouvait pas faire le film. Cette histoire remuait trop de choses en lui. Il craignait d'en être perturbé. J'ai été très malheureux. J'ai quand même poursuivi l'écriture pendant un an en donnant une autre orientation au projet. Mais il y avait beaucoup d'incertitudes, beaucoup de doutes. J'ai pensé faire appel à un acteur anglo-saxon parlant bien français, mais juste au moment où nous étions pour conclure une entente, Daniel m'a rappelé. Et il est revenu sur sa décision!»

À la frontière des genres

Outre Daniel Auteuil, Avant l'hiver met en vedette Kristin Scott Thomas, Leïla Bekhti et Richard Berry. L'histoire est construite autour du questionnement existentiel d'un neurochirurgien, heureux en ménage depuis de nombreuses années, dont la quiétude est pourtant perturbée par la livraison systématique et anonyme de bouquets de roses chez lui. Une jeune fille le croise. Elle l'émeut. De façon complètement platonique. L'épouse s'interroge. Et le meilleur ami du couple aussi.

«J'ai voulu élaborer une trame psychologique de nature intimiste dans laquelle j'ai aussi intégré quelques éléments de suspense, explique le cinéaste. Un peu comme s'il s'agissait d'un thriller. J'aime bien l'idée de travailler à la frontière des genres. Je l'ai souvent fait dans mes romans.»

La relation affective qui lie Paul, Lucie et Gérard n'est pas sans évoquer le genre de liens qu'entretenaient les personnages qui ont marqué le cinéma de Claude Sautet. Le cinéaste ne cache d'ailleurs pas son admiration pour le réalisateur de César et Rosalie.

«À mes yeux, Claude Sautet est un maître, dit-il. Je suis à la fois heureux et triste de constater qu'il est aujourd'hui reconnu par la critique alors que ce n'était pas du tout le cas de son vivant. Ses films n'ont d'ailleurs pratiquement jamais été montrés dans les grands festivals. Ils n'ont jamais gagné beaucoup de prix. Sautet était amoureux de ses acteurs et les filmait d'une façon qui lui permettait d'aller assez loin dans la psychologie humaine.»

Pour son prochain film, Philippe Claudel compte filmer modestement en province une histoire d'enfance.

«Je souhaite travailler cette fois en équipe légère, explique-t-il. Il n'y aura pas d'acteurs connus.»

Avant l'hiver prend l'affiche le 7 mars.