Il était encore l'heure du brunch quand le Wall Street Journal a lancé la triste nouvelle sur Twitter: «Dernière heure: l'acteur Philip Seymour Hoffman est trouvé mort dans son appartement de Manhattan». Dès lors, les réseaux sociaux se sont embrasés. Personne n'osait y croire. On priait pour le canular de mauvais goût. Puis, les détails ont été progressivement dévoilés: l'acteur, âgé de 46 ans, a été trouvé inconscient dans sa salle de bains par un ami scénariste, inquiet d'un silence inhabituel alors qu'en ce dimanche matin, Philip Seymour Hoffman devait aller chercher ses trois jeunes enfants. Dans l'appartement de Bethune Street, au quatrième étage, les autorités ont constaté le décès sur place. Une aiguille. De la dope. Saloperie.

Nous l'avions entrevu il y a une vingtaine d'années dans Scent of a Woman, un film dans lequel il a tenu un petit rôle aux côtés d'Al Pacino. Ce n'est pourtant que cinq ans plus tard que cet acteur d'exception se fera véritablement remarquer des cinéphiles. Sous la caméra de Paul Thomas Anderson, dont il deviendra l'acteur fétiche, Philip Seymour Hoffman exhibe, dans Boogie Nights, une personnalité d'acteur singulière en interprétant le rôle de Scotty J. En peu de scènes, l'acteur parvient à traduire le mal de vivre d'un perchiste qui, sur un plateau de film porno, tombe amoureux de la star masculine.

> Réagissez sur le blogue de Marc-André Lussier

Du côté des auteurs

Résolument attirée vers les personnages peu banals, la vedette de Capote, qui lui a valu l'Oscar du meilleur acteur en 2006, s'est davantage fait valoir du côté du cinéma d'auteur. À cet égard, Philip Seymour Hoffman n'a jamais été un comédien «populaire», même s'il prenait aussi parfois plaisir à composer des personnages dans des superproductions destinées à un très large public. Il était notamment de la distribution de The Hunger Games: Catching Fire.

Outre sa collaboration exceptionnelle avec Paul Thomas Anderson en cinq longs métrages (Hard Eight, Boogie Nights, Magnolia, Punch-Drunk Love, The Master), Philip Seymour Hoffman a aussi su se distinguer dans des films de cinéastes tout aussi réputés, souvent dans des rôles de soutien peu «aimables».

Après Boogie Nights, l'acteur emprunte les traits de la perversité dans Happiness, un film très marquant de Todd Solondz. On le verra aussi dans le cinéma des frères Coen (The Big Lebowski), Cameron Crowe (Almost Famous), Anthony Minghella (The Talented Mr. Ripley, Cold Mountain), Sidney Lumet (Before the Devil Knows You're Dead), Charlie Kaufman (Synecdoche, New York). Entre autres.

«Il y a des oeuvres pour lesquelles j'éprouve évidemment plus de passion que d'autres, mais j'aime passer à autre chose très vite, a déclaré l'acteur au cours d'un entretien accordé à La Presse en 2008. C'est comme un appel du corps qui me force à lâcher prise. De toute façon, il ne sert à rien de se complaire ou de se morfondre dans ce qu'on a déjà fait, car on n'y peut plus rien. Ce qui est fait est fait. On ne peut revenir en arrière.»

Réalisateur d'un seul long métrage (Jack Goes Boating, 2010), Philip Seymour Hoffman était au Festival de Sundance il y a deux semaines pour accompagner la présentation de God's Pocket, un film de John Slattery. Il a aussi déjà tourné A Most Wanted Man, un thriller réalisé par Anton Corbijn.

Une immense perte pour le monde du cinéma.

Philip Seymour Hoffman en cinq films

Boogie Nights (1997), Paul Thomas Anderson

Grâce à sa composition dans le rôle d'un perchiste gai travaillant dans le monde du cinéma porno, Philip Seymour Hoffman est enfin révélé auprès des cinéphiles. Face à Mark Wahlberg, l'acteur est très émouvant de maladresse, particulièrement dans une scène où il tente de séduire l'homme de ses rêves en pensant que l'attirance est réciproque...

Almost Famous (2000), Cameron Crowe

Dans ce film campé dans le monde de la musique, l'acteur prête ses traits au regretté journaliste et critique musical du Rolling Stone Lester Bangs. Il incarne la voix de la sagesse dans un milieu où un journaliste doit savoir entretenir de bons liens avec les vedettes tout en maintenant une saine distance avec elles...

Capote (2005), Bennett Miller

Habituellement abonné aux seconds rôles, Philip Seymour Hoffman décroche sa toute première nomination aux Oscars - dans la grande catégorie - grâce à ce film dans lequel il tient enfin le rôle principal. En se glissant dans la peau de l'auteur Truman Capote, l'acteur propose une remarquable composition, laquelle lui vaudra l'Oscar.

Doubt (2008), John Patrick Shanley

Cette adaptation d'une pièce à succès n'est peut-être pas passée à l'histoire sur le plan cinématographique, mais la confrontation entre Philip Seymour Hoffman et Meryl Streep n'est rien de moins que grandiose. L'acteur fait merveille dans le rôle d'un prêtre trop moderne, trop humain aux yeux des tenants d'une approche plus traditionnelle.

The Master (2012), Paul Thomas Anderson

De nouveau, Philip Seymour Hoffman offre une performance saisissante. Il tient cette fois le rôle de Lancaster Dodd, un personnage librement inspiré de Ron L. Hubbard, fondateur de l'Église de scientologie. Il obtient en outre, conjointement avec son partenaire de jeu Joaquin Phoenix, le prix d'interprétation masculine à la Mostra de Venise. Il a aussi été nommé aux Oscars pour la quatrième fois en huit ans.

Philip Seymour Hoffman (à l'avant) dans The Master.