Visitors est le premier film que propose Godfrey Reggio en 10 ans, soit depuis Naqoyqatsi, dernier volet d'une trilogie amorcée il y a 30 ans avec Koyanisqaatsi. Comme une méditation en noir et blanc...

Il a la taille d'un joueur de basket, la sagesse du moine qu'il fut dans sa jeunesse, et il s'exprime avec la voix grave de celui qui, visiblement, a beaucoup réfléchi au sens de la vie. Dire de Godfrey Reggio qu'il est un être atypique relève de l'euphémisme. On peut en dire tout autant de son cinéma.

Révélé il y a 30 ans grâce à Koyanisqaatsi, un film dans lequel il posait un regard en accéléré sur le mode de vie urbain, le cinéaste propose aujourd'hui Visitors, oeuvre contemplative sans paroles, mise en musique par le fidèle complice Philip Glass, dans laquelle des visages humains (mais pas seulement) sont filmés au ralenti.

«J'aime à dire que Visitors est un enfant autiste alors que Koyanisqaatsi est un enfant hyperactif, a déclaré le cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse au festival de Toronto.

«Tout est affaire de réciprocité du regard dans ce film. Les protagonistes regardent directement ceux qui sont en train de les regarder sur l'écran. À partir du moment où on prend le temps de le regarder vraiment, le visage humain révèle ce que nous sommes. Toute l'histoire d'un individu s'y trouve, mais aussi celle de l'humanité.»

Un film en 74 plans

On compte seulement 74 plans dans Visitors. Chacun dure en moyenne 77 secondes. Inutile de dire qu'un film expérimental de cette nature ne cadre pas du tout avec l'idée que les intervenants de «l'industrie» se font du cinéma.

«Il est certain qu'à Hollywood, ils me prennent pour un malade!», lance le cinéaste, natif de La Nouvelle-Orléans. Mes films ne coûtent pas cher, mais ils sont quand même difficiles à financer. Les investisseurs se font rares. Fort heureusement, je peux compter sur un noyau fidèle de supporteurs - plutôt des anges à vrai dire - qui viennent m'appuyer dans ma démarche.

«J'aurais pu réaliser Visitors au lendemain du passage de l'ouragan Katrina en 2005, mais le film n'aurait sans doute pas été le même. Là, on a plutôt l'impression d'évoquer les ruines de la modernité. J'ai eu du temps pour approfondir ma démarche.»

Très tôt dans le processus, décision fut prise de tourner ce film «au ralenti» et en noir et blanc.

«À mes yeux, la couleur distrait inévitablement le regard, explique Godfrey Reggio. Aussi, j'estime que le noir et blanc a une plus grande portée émotionnelle, dans la mesure où l'image est alors dénuée de toute connotation contemporaine. On peut aussi jouer davantage sur la notion de profondeur. Un noir très prononcé peut provoquer cette illusion.»

Bien conscient du fait que son film ne pourra être apprécié de tout le monde de la même manière, Godfrey Reggio assume pleinement son approche.

«L'homme est créateur d'habitudes et il aime se soumettre à une routine, fait-il remarquer. C'est la même chose au cinéma. La seule habitude que nous ayons maintenant est celle de voir des films gonflés aux stéroïdes, où ça pétarade de tous bords, tous côtés. C'est comme entendre un son de marteau-piqueur dont nous ne serions même plus conscients. J'ai accouché d'un enfant différent et je l'aime. J'espère simplement qu'il pourra survivre, avoir sa propre vie. Il n'est pas obligé de plaire à tout le monde.

«En fait, ajoute-t-il, j'ai conçu ce film comme une méditation à yeux ouverts. Un peu comme lorsqu'on va à l'église, même si je n'aime pas trop l'analogie. Il y a quelque chose de transcendantal dans cette expérience.

«Évidemment, ça ne marchera pas auprès de tous les spectateurs, mais si des gens se rapprochent un peu plus d'eux-mêmes grâce à ce film, aussi peu nombreux soient-ils, j'en serai heureux.»

Greenberg et Soderbergh

Produit en outre par Phoebe Greenberg, du Centre PHI de Montréal, Visitors est présenté par Steven Soderbergh. Ces deux individus font ainsi partie des «anges» que Godfrey Reggio a évoqués au début de cet entretien.

«J'aime toutes les formes d'art cinématographique», a confié de son côté le réalisateur de Behind the Candelabra au cours de cette même rencontre torontoise, pendant laquelle il écoutait attentivement les paroles du cinéaste. D'aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours intéressé au cinéma expérimental. Comme j'admire le travail et la démarche de Godfrey, j'ai été honoré de soutenir la présentation de cette oeuvre, si tant est que mon nom puisse aider à attirer l'attention sur elle. Au moment où j'ai été sondé, le film était déjà complètement terminé. Je n'ai pas fait partie de l'équipe de production.»

Visitors prend l'affiche le 31 janvier.