Plusieurs personnes savent que le nom «Alan Smithee» est en fait un pseudonyme utilisé par des réalisateurs souhaitant se dissocier d'un film dont ils ne sont pas satisfaits.

Mais les faux crédits abondent aussi dans des films appréciés, un phénomène plus rare, mais utilisé par des cinéastes qui souhaitent enlever leur nom du générique par modestie, pour des raisons politiques ou seulement pour faire une blague.

Tout cela ne pose pas de problème jusqu'à ce que la saison des prix s'amorce et que de vénérables institutions telles que l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences se voient obligées d'annoncer les nominations d'artisans qui n'existent peut-être même pas.

Certains croient qu'une telle situation s'est produite cette année, alors qu'un certain John Mac McMurphy a obtenu une nomination aux Oscar, dans la catégorie montage, pour Dallas Buyers Club.

Quelques heures seulement après l'annonce des nominations, plusieurs rumeurs en ligne indiquaient que McMurphy était en fait le pseudonyme du réalisateur de Dallas Buyers Club, le Québécois Jean-Marc Vallée. Nommé en compagnie de McMurphy, le Montréalais Martin Pensa n'a toutefois rien voulu révéler au sujet de l'identité de son partenaire.

Certains avancent que l'Academy a confirmé que McMurphy est bel et bien le pseudonyme de Vallée, mais les représentants des Oscar n'ont pu vérifier la rumeur pour La Presse Canadienne.

Un relationniste de l'Academy a indiqué que les nominations se font à partir du générique des films soumis par les studios et qu'il importe peu que le nom soit un pseudonyme ou non.

«Souvent, nous n'apprenons qu'un pseudonyme a été utilisé que des années plus tard», a expliqué par courriel le relationniste, qui a demandé l'anonymat.

Si le cinéaste québécois a effectivement soumis un pseudonyme aux Oscars, il ne serait certainement pas le premier à le faire.

Les frères Joel et Ethan Coen ont obtenu une nomination aux Oscar dans la catégorie du meilleur montage pour No Country for Old Men sous le nom de Roderick Jaynes. Il s'agissait alors d'une deuxième nomination pour «Jaynes», qui avait aussi attiré l'attention grâce au montage de Fargo.

Il y a également Donald Kaufman, l'alter ego fictif du scénariste Charlie Kaufman, qui a partagé le crédit avec le véritable Kaufman sur le scénario d'Adaptation, en 2002, recevant par la suite une nomination pour le prix du meilleur scénario adapté.

Tous savaient à l'époque que Donald Kaufman n'existait pas, a précisé le relationniste de l'Academy, ajoutant que la référence était une façon de rappeler l'intrigue du film, au sujet d'un scénariste névrosé nommé Charlie Kaufman et de son frère jumeau Donald.

«Comme Charlie Kaufman était crédité sous son propre nom, nous avons décidé de traiter Donald Kaufman comme une prolongation de ce nom plutôt que comme un pseudonyme à part entière. La nomination complète n'est donc qu'une autre version du nom de Charlie Kaufman.»

Dans les cas où un finaliste utilisant un pseudonyme l'a emporté, l'histoire démontre que l'artisan en question s'est présenté pour accepter le prix. C'est notamment arrivé au scénariste Hans Székely (qui a utilisé le nom John S. Toldy) en 1940 et à l'auteur Nedrick Young (sous le nom Nathan E. Douglas) en 1958.

L'Académie canadienne du cinéma et de la télévision, qui présente les prix Écrans canadiens, a refusé de révéler ses règles quant au traitement des pseudonymes pour sa remise de prix. Mais le phénomène survient aussi au pays.

Le monteur et réalisateur torontois Reg Harkema, par exemple, a utilisé le pseudonyme Hans Lucas dans certains génériques.

«Il y a dans chaque réalisateur quelqu'un qui aime jouer des tours aux médias, n'est-ce pas?», a-t-il déclaré.

Harkema a expliqué que certains cinéastes portant plusieurs chapeaux choisissent d'utiliser un faux nom pour éviter de dominer le générique.

«Ça semblerait trop égocentrique», a déclaré Harkema au sujet de l'utilisation de son propre nom à plusieurs reprises au générique.

«James Cameron a l'air d'un pauvre type lorsqu'il fait Avatar et qu'il s'inscrit comme monteur alors qu'il réalise (et) qu'il a deux autres monteurs.»

Le réalisateur hollywoodien Steven Soderbergh a déjà indiqué préférer voir son nom une seule fois au générique du film, croyant que «chaque fois que vous inscrivez votre nom, vous le diluez».

C'est pourquoi il utilise souvent le pseudonyme de Peter Andrews pour son travail de directeur photo et celui de Mary Ann Bernard pour son travail de monteur.

Cette habitude l'a toutefois placé dans une drôle de position au gala des Emmy, l'an dernier, alors que son travail sur le drame sur Liberace Behind the Candelabra lui a valu trois nominations... sous trois noms différents.

Harkema croit simplement qu'avoir trop de titres attachés à un nom peut mal paraître.

«Chaque fois que je vois «réalisé par», «écrit par», «produit par», «monté par», «tourné par», «mettant en vedette», je me dis que ce film est mieux d'être bon parce que cette personne est égocentrique», a-t-il jugé.