Prendre son billet pour un film d'auteur, commander un verre de vin et bavarder sur des banquettes installées il y a cent ans: à Vienne, les petits cinémas misent sur leur côté rétro pour séduire le public.

Face aux multiplexes, qui représentent les deux tiers des quelque 150 salles de la capitale autrichienne, la demi-douzaine de vieux cinémas à salle unique ont comme meilleur atout leur authenticité.

«C'est plus détendu que dans les grands cinémas», explique Helga Santner, venue voir un drame familial autrichien avec ses deux grandes filles au Bellaria, dans le centre-ville.

Ici pas de lumière vive ni d'immenses affiches de films, mais un papier peint fleuri qui a beaucoup vécu, où sont accrochés les portraits en noir et blanc d'acteurs allemands et autrichiens d'un autre temps: Paula Wessely, Hans Moser, ou encore Magda Schneider et Wolf Albach-Retty, les parents de Romy Schneider.

Certains sont dédicacés, ce qui ravit la nostalgique Heidrun Poschinger, 72 ans: «Le cinéma, c'était comme ça dans le temps. Moi-même je collectionnais leurs autographes à l'époque!»

Si elles ont leurs habitués - amateurs de version originale, étudiants, cinéphiles, retraités -, les salles d'art et d'essai ne peuvent pas compter seulement sur leur programmation pour faire le plein de spectateurs.

«Comme il y a à Vienne trop de salles et de sièges par rapport à la consommation de cinéma, les multiplexes montrent aussi des films d'auteur et nous font de la concurrence», explique Michaela Englert, gérante depuis 2007 de l'Admiral Kino, fondé en 1913.

Les petits prix du billet (7 à 8,50 euros l'entrée, contre plus de 10 euros dans les multiplexes) ne semblent pas jouer non plus.

Reste donc à miser sur le cadre, qui transforme une séance dans ces cinémas en petit voyage dans le temps.

Anna Nitsch-Fitz l'a bien compris: elle aime rappeler que le Breitenseer Lichtspiele, créé en 1905 et qu'elle a repris en 1969, est «le plus ancien cinéma au monde à l'activité jamais interrompue».

«Comme un musée vivant du cinéma»

Cette petite femme brune et déterminée tient aujourd'hui le «BSL» à bout de bras: excentré et vieillissant, son cinéma peine financièrement.

«Il n'y a presque plus de films qui sortent en copies en 35 mm», déplore-t-elle, et le passage au numérique lui reviendrait trop cher.

Elle joue donc l'originalité, organisant des séances avec visite de la cabine de projection, des cinés-tricot où la lumière n'est que tamisée pour pouvoir compter ses mailles, ou encore des projections de films muets accompagnés par un pianiste.

«C'est l'occasion de faire l'expérience du passé, c'est comme un musée vivant du cinéma», s'enthousiasme avant une séance de muet Sabine Rosenkranz-Frömmel, qui enseigne la philosophie à Vienne.

Mais les 168 sièges en bois - certes amortis par des coussins en libre service - et la piètre isolation sonore de la salle peuvent avoir raison de la motivation de certains cinéphiles.

«Ça peut être vieux, mais ça ne doit pas être délabré», résume Elmar, fonctionnaire, qui a choisi l'Admiral pour venir voir avec des amis le dernier Woody Allen.

Assise sur les banquettes rouges datant de la création de la salle, la Bavaroise Mia Unterharnscheidt boit un verre de vin rouge en attendant le début de la séance. «Je trouve l'atmosphère très sympathique, comme le salon de chez quelqu'un, on se sent bien», dit-elle.

L'Admiral, une institution viennoise située près du quartier «bobo», et fréquentée assidûment en son temps par l'écrivain Arthur Schnitzler, fait partie des petits cinémas qui se sont convertis au numérique.

«Je ne souhaite pas changer le look rétro du cinéma, ni son atmosphère, mais c'est important qu'il y ait en même temps la meilleure qualité technique possible», justifie Michaela Englert, réaliste sur l'avenir économique de son affaire.

De plus en plus de petites salles suivent cette voie, leur meilleure chance de survie, estime le responsable Culture et loisirs de la Chambre de commerce de Vienne, Oswald Bacovsky.

«Leur évolution n'est pas aussi mauvaise qu'attendu. Il y a dix ans, on pensait qu'ils allaient bientôt disparaître», rappelle M. Bacowsky. «Aujourd'hui, on ne parle plus de la mort des cinémas.»