Agnès Varda, icône de la Nouvelle Vague et créatrice infatigable, fait l'objet de toutes les attentions ces jours-ci à Los Angeles, une ville «extravagante et extravertie» où elle a vécu avec son mari Jacques Demy, et qu'elle a filmée d'un oeil aiguisé.

Depuis deux semaines, la cinéaste, documentariste, photographe et plasticienne de 85 ans régale ses «amis américains» d'anecdotes et réflexions sur près de 60 ans de création, depuis son premier film La pointe courte (1955).

La «grand-mère» de la Nouvelle Vague, comme elle se surnomme avec humour, est la directrice artistique de l'édition 2013 de l'AFI Fest, le festival annuel de l'American Film Institute, qui s'achève jeudi.

À ce titre, Agnès Varda a présenté une sélection de films de cinéastes qu'elle admire - Scorsese, Fassbinder, Bresson et Cassavetes - et deux des siens: le célèbre Cléo de 5 à 7 et Documenteur, tourné à Los Angeles en 1981.

«Cléo de 5 à 7, tout le monde m'en parle encore, et pas seulement ici», raconte à l'AFP Agnès Varda, éternelle coupe au bol et oeil pétillant, en picorant quelques tranches de bacon lors d'une réception donnée en son honneur à Beverly Hills.

Elle débarque à Los Angeles la première fois en 1967, avec son mari Jacques Demy, invité à Hollywood par la Columbia après le succès des Parapluies de Cherbourg.

«Quand on est arrivés, la Nouvelle Vague avait fait irruption partout. Et c'était tellement nouveau que des types comme Coppola ou George Lucas nous disaient qu'ils étaient impressionnés et inspirés», se souvient-elle. «À l'époque, on était vraiment les chouchous».

Pendant que Jacques Demy tourne Model Shop (1968), son premier film américain, Agnès Varda plonge dans le monde des hippies et de la contre-culture et signe Lions Love (... and Lies), l'un des cinq films qu'elle réalisera en Californie.

«L'époque peace and love à San Francisco et Los Angeles, c'était un choc extraordinaire. Avec Jacques, on était emballés, même si du coup, on a raté mai 68 en France», observe-t-elle.



Lions Love a été restauré par le Musée d'art de Los Angeles (LACMA), la Annenberg Foundation et la Film Foundation de Martin Scorsese, et projeté au musée avec quatre autres films de la cinéaste.



«Oh... l'Amérique, Hollywood...»


Le LACMA a également donné carte blanche à l'artiste pour une exposition, visible jusqu'au 22 juin 2014, intitulée Agnès Varda in Californialand. Le clou en est une «cabane» construite avec les bobines de pellicule 35mm de Lions Love, écho de celle construite en 2006 pour la Fondation Cartier à Paris avec les bobines de Créatures (1966).

«De loin, c'est une sculpture. Et quand on s'approche et qu'on entre, ça devient une étrange petite maison de cinéma», dit-elle. «Et puis après, je trouve qu'on est bien dedans. C'est comme un petit nid de cinéma».

Qu'elle filme un artiste hippie à San Francisco (Oncle Yanco, 1967), les révolutionnaires afro-américains à Oakland (Black Panthers, 1968), les peintres de fresques murales à Los Angeles (Mur Murs, 1981) ou une fiction-documentaire à Venice (Documenteur, 1981), Agnès Varda fait preuve de la même curiosité.

Mais c'est Los Angeles qui la passionne le plus. «Quand on est venus la première fois, Jacques était fou de joie mais moi je disais «Oh... l'Amérique, Hollywood... J'y vais parce que c'est toi mais si ça ne me plaît pas, je rentre!»».

«Mais dès que je suis arrivée ici j'ai adoré cette ville, ses espaces particuliers, le contraste entre les petites maisons et les gratte-ciels, la diversité des gens, les trop riches, les trop pauvres, c'était violent et ça me plaisait bien», dit-elle.

Elle raconte aussi pourquoi elle a choisi de tourner Documenteur entièrement à l'ombre, dans une ville «extravagante et extravertie» où tout le monde vient chercher la lumière.

«Je voulais quelque chose d'un peu gris, d'un peu triste, qui correspond aussi à un certain côté de Los Angeles, particulièrement à Venice, qui était un peu la fin de l'utopie», explique-t-elle. «C'est vraiment à Venice qu'on voyait le plus de gens désenchantés, ceux qui n'avaient pas réussi et qui avaient perdu leurs illusions».