Leur village a été développé par la Corée du Sud comme un outil de propagande contre la Corée du Nord, et certains résidants ont choisi d'y vivre dans l'espoir que les deux Corées soient un jour réunies et qu'ils puissent reprendre contact avec leurs proches se trouvant de l'autre côté de la frontière.

Ceux qui se sont installés à Cheorwon étaient des pionniers qui ont cultivé des rizières même avec le risque de perdre un enfant ou un membre en faisant sauter des explosifs remontant à la guerre de Corée.

Apparaissant à l'écran dans un nouveau documentaire sud-coréen à petit budget, la dizaine d'habitants de ce village situé à proximité de la frontière entre les deux Corées sont une rareté sur le marché du divertissement de la Corée du Sud.

La plupart des films sud-coréens sur la Corée du Nord ou la guerre de Corée sont des drames historiques se déroulant lors du conflit lui-même, qui a eu lieu entre 1950 et 1953. Certains ont pour toile de fond les tensions entre le Nord et le Sud, mais présentent rarement les Nord-Coréens ordinaires ou la douleur des familles séparées. Deux succès de cette année au box-office, Secretly, Greatly et The Berlin File, mettaient en scène un espion nord-coréen et un agent secret comme personnages principaux.

Dream House by the Border de la réalisatrice Kim Lyang est l'un des 11 documentaires en compétition pour un prix de 10 millions de wons (9300 $ US) au Festival international du film de Busan, qui prend fin samedi.

Mme Kim, une Sud-Coréenne installée en France, affirme que son premier documentaire était l'occasion, pour elle, de raconter des histoires en tant que descendante d'une famille coupée en deux. Son père est né en Corée du Nord, mais a rejoint le Sud durant la guerre, et elle a grandi sans connaître les membres de sa famille élargie du côté paternel. L'homme fait partie des millions de Coréens séparés par l'imposante frontière fortifiée qui divise la péninsule. Les citoyens des deux pays ne peuvent passer de l'autre côté, puisque la guerre a pris fin avec une trêve et non avec un accord de paix, et plusieurs ne savent même pas si leurs proches sont toujours en vie.

La cinéaste de 41 ans a eu de la difficulté à réconcilier les origines de son père et le fait de grandir à une époque où les Sud-Coréens vivaient dans la terreur d'une autre invasion communiste et des espions nord-coréens.

«Pour moi, il n'était pas naturel de dire que la ville de naissance de mon père était en Corée du Nord», confie-t-elle en entrevue.

À l'école, elle a suivi des cours contre le communisme où les professeurs décrivaient la Corée du Nord comme un «monstre». À la maison, son père rêvait de revoir sa maison nord-coréenne et sa famille.

«Mon père mettait l'accent sur le fait qu'il était dans l'armée de la République de Corée, pour dissimuler ses origines nord-coréennes», explique-t-elle, en faisant référence au nom officiel de la Corée du Sud.

Depuis son départ de la Corée du Nord pour rejoindre les forces onusiennes pendant la guerre, son père n'a pas revu sa mère et ses deux frères.

«Il se sent coupable, bien que cela ne soit pas sa faute s'il a laissé sa famille derrière lui», mentionne la réalisatrice.

D'autres personnes interviewées dans le documentaire ont quitté leurs villes natales de la Corée du Nord pour différentes raisons et ont été attirées vers le village par la promesse d'obtenir des maisons et des terres de la part du gouvernement. Une résidante de Cheorwon se rappelle, dans le film, que son défunt père s'était établi à cet endroit en espérant franchir la frontière dès la réunification pour voir sa famille installée au Nord.

Le documentaire montre de nombreux détails des maisons du village, qui ont été bâties à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Jusqu'à récemment, les habitants ne pouvaient rénover ou agrandir leurs demeures, puisque celles-ci ont été construites dans le cadre d'un village de propagande sous contrôle gouvernemental. Lors de la présidence de Park Chung-hee, le gouvernement avait prévu développer le village pour montrer la prospérité de la vie sud-coréenne à la Corée du Nord, qui a aussi construit son propre village de propagande au nord de la zone démilitarisée.

Plusieurs maisons montrées dans le film ont toujours leurs toits orange visibles de très loin en territoire nord-coréen. Un résidant se rappelle avoir été abasourdi par les messages de propagande crachés de part de d'autre de la frontière lors des périodes de forte tensions entre les deux États, messages qui effrayaient les nouveaux arrivants et qui ont provoqué bon nombre de nuits d'insomnie.

Dans le documentaire, le père de Kim Lyang explique qu'il a rejoint une unité aéroportée dans l'espoir de pouvoir sauter en parachute au-dessus de sa ville natale de Tanchon, en Corée du Nord, et ainsi revoir ses proches.

Le mois dernier, Séoul et Pyongyang étaient sur le point de laisser des centaines de familles séparées se réunir temporairement. Mais la Corée du Nord a annulé l'événement quelques jours avant la date prévue, causant une vive déception à des gens majoritairement septuagénaires ou plus âgés qui veulent désespérément revoir leurs proches avant de mourir. Environ 22 000 Coréens du Nord et du Sud ont pu participer à de brèves réunions familiales lors d'une période moins tendue qui a pris fin en 2010.

Le père de la réalisatrice, un octogénaire, n'espère désormais plus revoir sa famille. Il n'a pas demandé de passe pour la réunion du mois dernier, indique Mme Kim.