Au large de la Somalie, des pirates capturent le capitaine d'un navire marchand, finalement libéré par les forces spéciales américaines. L'histoire, portée à l'écran dans Captain Phillips, est vraie mais pour de nombreux marins otages, pauvres et oubliés, le happy end est loin.

Le film sort vendredi aux États-Unis avec Tom Hanks dans le rôle-titre. Il raconte l'abordage en avril 2009 du Maersk-Alabama, porte-conteneur acheminant de l'aide humanitaire vers la Corne de l'Afrique.

Incapables de se rendre maîtres du navire, les pirates somaliens enlèvent son capitaine, Richard Phillips. Après de longues et infructueuses négociations, ils sont abattus par des militaires américains et leur otage est libéré.

Si l'histoire est véridique, pareilles opérations restent rares. De nombreux marins restent prisonniers en Somalie, abandonnés par leurs pays, incapables ou peu désireux d'envoyer des commandos, ou par leurs employeurs réticents à verser une rançon, surtout quand le navire a coulé.

Piraterie et prises d'otages se sont certes raréfiées au large de la Somalie depuis 2011 grâce au déploiement d'une force navale internationale, mais quelque 90 marins restent aux mains de pirates, certains depuis plus de deux ans, sans réel espoir de libération à court terme.

«Le cas du Maersk-Alabama est plutôt exceptionnel (...) Pour ceux qui sont toujours prisonniers il n'y a pas de dénouement de conte de fées», explique John Steed, directeur du Secrétariat pour la Sécurité maritime régionale (SRMS).

Cette organisation non lucrative qui conseille les autorités somaliennes est l'un des derniers interlocuteurs des pirates, qu'elle tente de convaincre de libérer les otages, et le seul lien avec des familles désespérées.

En janvier 2011, les pirates détenaient 736 otages et plus de 32 navires marchands, contre un seul bateau d'importance aujourd'hui.

Leurs prisonniers actuels sont une cinquantaine de marins originaires du Bangladesh, de Chine, d'Inde, d'Indonésie, d'Iran, des Philippines, du Sri Lanka, de Thaïlande, du Vietnam... Auxquels s'ajoutent, selon John Steed, une trentaine de pêcheurs yéménites.

Ces otages «sont des gens pauvres, issus de familles pauvres qui n'ont tout simplement pas l'argent nécessaire pour la rançon», ajoute M. Steed.

Il raconte des histoires atroces de captifs «torturés alors qu'ils sont au téléphone avec leur famille», à qui «on coupe les oreilles» pour convaincre les proches de payer.

Modèle économique des pirates cassé

«Ces pirates peuvent attendre 10 ans d'être payés, ils n'obtiendront rien de ces otages», explique Roy Paul, qui dirige la coalition de Réponse humanitaire à la piraterie maritime, qui soutient les marins capturés.

En début d'année, les familles des marins (Bangladais, Sri-lankais, Indiens, Iraniens...) du MV Albedo ont lancé un appel désespéré aux pirates, peu après le naufrage dans une mer démontée de ce porte-conteneur battant pavillon malaisien, ancré près des côtes somaliennes depuis sa capture en novembre 2010.

«Maintenant que le navire a coulé, le propriétaire n'a aucun intérêt à payer pour sauver l'équipage», expliquaient-elles dans une lettre. «Nous avons adjuré le monde entier de payer la rançon pour libérer nos proches, mais personne n'a écouté (...) nous sommes de pauvres gens, nous n'avons même pas d'argent pour acheter des médicaments, payer l'inscription à l'école ou nourrir nos enfants».

John Steed, ancien colonel de l'armée britannique, dit être «en contact quasi quotidien (avec les pirates) pour négocier leur libération sur des bases humanitaires».

Fin 2011, une dizaine de pêcheurs birmans avaient été relâchés, leurs ravisseurs ayant finalement compris qu'aucune rançon ne serait jamais payée, après plus d'une année de détention dans des conditions telles que cinq prisonniers avaient succombé.

L'an dernier, les pirates ont extorqué 31 millions $ en rançons, estime l'ONU. Soit près de huit fois moins qu'en 2010, année record durant laquelle 238 millions avaient été versés, selon l'ONG Oceans Beyond Piracy.

La dernière attaque réussie sur un navire marchand remonte à mai 2012, selon la Force navale européenne croisant au large de la Somalie (Eunavfor).

Paradoxalement, cette amélioration complique désormais la situation des captifs et les négociations avec les pirates.

«Leur modèle économique est cassé et ne produit plus de résultats», explique M. Steed, «le problème est que le pirates doivent certainement de l'argent (emprunté pour financer leurs activités) à des gens et doivent rentrer dans leurs frais».