Woody Allen a non seulement approuvé le titre sous lequel la version française sera lancée au Québec; il l'a choisi lui-même!

De l'avis général (et du mien en particulier!), Blue Jasmine est ce que Woody Allen a fait de mieux depuis un moment. Cate Blanchett, qui peut dès maintenant se choisir une tenue pour la prochaine soirée des Oscars et préparer son discours de remerciement, y offre une composition hallucinante. Qui transcende cette comédie dramatique réunissant tous les éléments qu'on apprécie dans le cinéma du réalisateur d'Annie Hall.

Cela dit, le but de cet article n'est pas de vous offrir une critique à l'avance (le film sort vendredi prochain au Québec), mais plutôt de répondre à quelques-unes des interrogations qu'entretiennent les admirateurs québécois de Woody Allen envers son plus récent opus.

Un délai

Réglons d'abord la question de la date de sortie. Oui, le film est déjà à l'affiche depuis un mois aux États-Unis en distribution limitée (New York, Los Angeles). Il prend l'affiche en distribution plus «large» aujourd'hui même en Amérique du Nord. Mais pas au Québec. Le distributeur québécois, Métropole Films, a préféré attendre qu'un doublage soit d'abord réalisé afin de pouvoir offrir simultanément aux cinéphiles d'ici la possibilité de voir le film en version originale avec sous-titres français, en version doublée française, et aussi, évidemment, en version originale anglaise.

Or, Woody Allen, dont les affinités avec la France sont bien connues, refuse toujours que ses films fassent l'objet d'un doublage spécifique réalisé ici, destiné au marché québécois. À moins que je ne fasse erreur, il reste le seul irréductible à ce chapitre. Steven Spielberg, qui a lui aussi refusé pendant très longtemps les doublages québécois, autorise maintenant ceux-ci depuis 2008, soit depuis Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull.  Remarquez que Lincoln n'a pas fait l'objet d'un doublage québécois l'an dernier mais cette décision, carrément stupide disons-le, relevait du distributeur Disney. Qui n'avait pas cru bon investir dans un doublage, estimant que le film ne susciterait probablement guère l'intérêt du public québécois.

Dans le cas de Blue Jasmine, qui sort seulement le 25 septembre en France, il fallait attendre que le doublage réalisé dans l'Hexagone soit prêt. D'où le délai.

Obligation légale

Mais il n'y a pas que ce délai qui suscite des interrogations ces jours-ci. Quand, récemment,  il fut annoncé que la version française de Blue Jasmine s'intitulerait Jasmine French au Québec, disons qu'un scepticisme de bon aloi s'est répandu dans les chaumières.

Expliquons d'abord le choix de ce titre. «French» étant le nom de famille de la fameuse Jasmine qu'interprète Cate Blanchett dans le film, on peut ainsi y deviner un clin d'oeil à Annie Hall. Woody Allen a non seulement approuvé le titre sous lequel la version française de Blue Jasmine sera lancée au Québec, mais il l'a choisi lui-même ! Au départ, le titre de travail de Blue Jasmine était d'ailleurs Jasmine French...

Expliquons maintenant la raison de ce changement de titre pour la version française. Le distributeur n'avait tout simplement pas le choix. Selon un règlement de la Régie du cinéma du Québec, tout film comportant un doublage - même une portion - doit obligatoirement être coiffé d'un titre en français, sauf dans les cas où le titre du film est constitué d'un nom propre. Cela provoque des situations incongrues parfois. Rappelons le célèbre cas, il y a dix ans maintenant, de Swimming Pool, rebaptisé au Québec La piscine de François Ozon.

Un extrait d'une chronique écrite à l'époque :

Pour une question d'ordre technocratique typiquement québéco-québécoise, le nom du réalisateur fait chez nous partie intégrante de l'appellation du film. Il était impossible d'utiliser seulement «La Piscine», ce titre ayant déjà été utilisé pour le célèbre film que Jacques Deray a tourné en 1969 avec Romy Schneider et Alain Delon.

Comme une bonne partie des dialogues de «Swimming Pool» est livrée dans la langue de Shakespeare, il existe une version entièrement doublée en français (Charlotte Rampling et Ludivine Sagnier s'y doublent elles-mêmes, bien entendu). Cette version, qui empruntait quand même le titre original dans l'Hexagone, a d'ailleurs été exploitée là-bas dans une proportion d'environ trois copies en version doublée pour une copie en version originale.

Selon un règlement de notre Régie du cinéma, tout film ayant fait l'objet d'un doublage doit toutefois être coiffé d'un titre en français. D'où cette décision étrange faisant probablement du Québec le seul territoire au monde où le film de Ozon sera intitulé «La Piscine de François Ozon».

Dix ans plus tard, le Québec constituera aussi le seul territoire au monde où le film de Woody Allen pourra aussi être reconnu sous le titre Jasmine French.

Cela dit, nous n'avons pas l'apanage des choix de titres un peu étranges. Vrai que Waiting to Exhale est devenu chez nous Vénus dans la Vierge (Où sont les hommes ? en France). Il reste d'ailleurs mon exemple favori depuis longtemps. Quand même, on trouve aussi souvent en France des choix tout aussi discutables, notamment cette tendance à remplacer un titre anglais par un autre titre... en anglais ! C'est notamment le cas de The Hangover (Lendemain de veille au Québec ; Very Bad Trip en France), ou de Silver Linings Playbook (Le bon côté des choses au Québec ; Happiness Therapy en France)

Parviendra-t-on à s'habituer à Jasmine French ? Je n'en suis pas convaincu. Mais nous devrons bien nous y faire.

En passant, le titre québécois d'Inside Llewyn Davis vient d'être trouvé. L'excellent film des frères Coen, Grand Prix à Cannes plus tôt cette année, prendra l'affiche le 20 décembre sous le titre Être Llewyn Davis.