Aucune personnalité de Hollywood n'avait un pouce plus célèbre que Roger Ebert.

Avec une simple rotation du poignet, le critique de films et lauréat d'un prix Pulitzer, en 1975, pouvait rendre un verdict qui allait influencer la décision de nombreux cinéphiles, et propulser un long métrage vers la gloire ou le reléguer aux oubliettes.

Le costaud journaliste aux lunettes à monture d'écailles a fait équipe avec Gene Siskel, au petit écran, pour créer un style qui s'est avéré des plus attrayants par sa simplicité: des critiques à la fois intelligentes et accessibles, livrées par un duo qui ne regardait jamais de haut l'amateur moyen de longs métrages.

M. Ebert, critique cinématographique pour le Chicago Sun-Times depuis 1967, a rendu l'âme jeudi à l'Institut de rééducation de Chicago, deux jours après avoir annoncé sur son blogue qu'il s'apprêtait à se soumettre à des traitements de radiation à la suite de la réapparition d'un cancer. Il était âgé de 70 ans.

«Ainsi, en cette journée de réflexion, je vous dis, une fois de plus, merci de participer à cette aventure avec moi. Et je vous reverrai au cinéma», avait-il écrit, tard mardi.

Malgré sa grande influence, M. Ebert se considérait comme «un amateur, avant toute chose».

«J'ai assisté à une quantité innommable de films et oublié la plupart d'entre eux, j'espère. Mais je me souviens de ceux qui méritent de demeurer dans mes souvenirs, et ils se trouvent tous sur la même étagère dans ma tête», avait observé M. Ebert dans ses mémoires, intitulées Life Itself et publiées en 2011.

Après des opérations pour traiter un cancer en 2006, M. Ebert a perdu des parties de sa joue et, du même coup, la capacité de parler, de manger et de boire. Il a alors repris l'écriture à temps plein, mais, éventuellement, est retourné à la télévision. En plus de son travail au Sun-Times, il est devenu un adepte des médias sociaux, communiquant régulièrement avec les amateurs du 7e art grâce à Facebook et Twitter.

Le pouce de M. Ebert - pointant vers le haut ou vers le bas - était sa marque de commerce. Il s'agissait du logo principal de l'émission de télé qu'il a coanimée, d'abord avec M. Siskel, un «rival» à l'emploi du Chicago Tribune et - après le décès de M. Siskel en 1999 - avec Richard Roeper, un collègue du Sun-Times.

«Deux pouces en l'air» était assuré de se retrouver dans la bande-annonce du film.

Le critique cinématographique le plus connu au pays «écrivait avec passion, grâce à une véritable connaissance des films et de l'histoire des films et, ce faisant, a permis à de nombreux longs métrages de trouver leur public», a témoigné le réalisateur Steven Spielberg, ajoutant que ce «décès représentait la fin d'une époque».

«Son héritage est absolument énorme, pour plusieurs raisons», a observé le critique artistique montréalais Philippe Rezzonico.

«Premièrement, il est quand même rare qu'un critique, dans quelque domaine que ce soit, ait une carrière que l'on compte en décennies. L'autre chose, aussi, c'est qu'il a été un instigateur de quelques nouveautés. Le fameux pouce levé, pouce abaissé, c'est lui qui avait inventé cela au point d'en avoir fait une marque de commerce officielle qui lui appartient avec son collègue Gene Siskel, à l'époque de Siskel and Ebert at The Movies, a fait remarquer M. Rezzonico.

«Il avait une expertise exceptionnelle, il avait un vocabulaire précis, il avait évidemment des notions historiques qui lui permettaient de faire la part des choses quand venait le temps de comparer des époques. Il était d'une précision remarquable. Il arrivait toujours à résumer un film en quelques phrases. C'était clair, c'était net, c'était précis. Avec le fameux pouce levé, pouce abaissé, automatiquement il nous disait si c'était un film qui valait la peine qu'on aille voir, ou pas», de renchérir M. Rezzonico.

Au début de 2011, M. Ebert a lancé une nouvelle émission, Ebert Presents At the Movies. Elle avait de nouveaux animateurs et incluait M. Ebert dans un segment intitulé Roger's Office. Il utilisait une prothèse spéciale et faisait appel à des invités ou son ordinateur pour lire ses critiques.

Ses fans admiraient son courage, mais M. Ebert avait déclaré à l'Associated Press que la bravoure n'avait que très peu à voir avec sa situation.

«Vous jouez les cartes qu'on vous distribue», avait-il écrit dans un courriel en janvier 2011. «Quel est mon choix? Je ne souffre pas et j'adore la vie. Pourquoi devrais-je me plaindre?».

> Lire l'article du Chicago Sun-Times