Après avoir visité les oeuvres de Lewis Carroll (Alice in Wonderland), de Dan Curtis (Dark Shadows), de Hugh Wheeler (Sweeney Todd), de Roald Dahl (Charlie and the Chocolate Factory), de Washington Irving (Sleepy Hollow) et autres Pierre Boulle (Planet of the Apes), Tim Burton se revisite lui-même dans «son projet le plus personnel et le plus précieux», selon la productrice Allison Abbate. Rencontre en trois temps avec les trois piliers de ce que l'on pourrait appeler Frankenweenie version 2.0.

Tim Burton: ressusciter

Il y a du miracle dans l'air. Pas seulement dans l'histoire comme telle, imaginée par un jeune Tim Burton alors animateur chez Disney, où il est question d'un gamin qui redonne vie à son chien façon docteur Frankenstein. Mais aussi dans le fait que cette oeuvre, Frankenweenie, fasse l'objet d'une deuxième version... et qu'elle soit produite dans les studios de l'oncle Walt.

Parce que le film original, court métrage en noir et blanc réalisé en 1984, mettant en vedette Shelley Duvall et Daniel Stern, a provoqué la rupture entre Tim Burton et Disney. Séparation à l'amiable, renvoi ou non-renouvellement de contrat, les comptes rendus divergent, mais une chose est sûre: l'excentrique créateur ne trouvait pas sa place dans le moule Disney. Bref, le studio a trouvé l'oeuvre trop effrayante pour le jeune public et l'a mise de côté pendant des années.

Mais, bon, la paix a été faite et, depuis, Tim Burton a réalisé un Alice in Wonderland répondant aux canons «disneyiens». Résultat: le réalisateur d'Edward Scissorhands revisite aujourd'hui son oeuvre de jeunesse et la décline de la manière dont il dit l'avoir originellement imaginée: en noir et blanc toujours, mais également en un long métrage réalisé en animation image par image - une technique à laquelle il a touché pour réaliser son court métrage Vincent (1982) et, plus tard, Corpse Bride. Entre les deux, il a bien sûr produit et coécrit l'exceptionnel The Nightmare Before Christmas d'Henry Selick.

«Pour moi, le noir et blanc rend l'émotion de ce récit plus palpable. Si le studio avait insisté pour l'utilisation de la couleur, je ne l'aurais tout simplement pas fait. Quant à l'image par image, c'est la technique parfaite pour Frankenweenie: elle donne vie à des objets inanimés... et c'est exactement le propos ici. Le média et l'histoire collent parfaitement l'un à l'autre», a expliqué le réalisateur que La Presse a rencontré dans un hôtel d'Anaheim, en plein coeur de Disneyland.

Inspiré par son enfance

L'histoire est celle de Vincent Frankenstein, qui vit à New Holland dans une époque indéterminée - mais la ville et le temps ressemblent à Burbank et aux années 60, c'est-à-dire au «où et quand» Tim Burton a vécu son enfance. Vincent est un gamin solitaire et a, pour seul ami, son chien Sparky. Qui meurt, heurté par une voiture. Mais Vincent, inspiré par les cours de science du professeur Rzykruski, force éclairs et électricité, va ramener son compagnon à la vie. Ce qui ne sera pas sans provoquer l'envie de plusieurs des élèves de sa classe. Il y aura copie. Et bien des ennuis.

«J'ai réalisé ce court métrage, inspiré par de vrais souvenirs d'enfance. Pas les faits exacts, mon chien ne ressemblait même pas à Sparky, mais les émotions, ma relation avec lui, sont celles dont je me souviens», poursuit Tim Burton. Au fil des ans, il a souvent repensé à Frankenweenie. À ce passé et à ses sentiments d'alors. «Je me sentais incompris, différent. Mais en même temps, j'assumais cela parce que j'avais l'impression d'être normal. Les autres me voyaient comme quelqu'un de bizarre, mais quand je les observais, moi, je les voyais eux aussi comme étant bizarres. Je voulais refléter tout cela dans Victor et dans ceux qui l'entourent.»

D'autres dessins se sont ainsi ajoutés à ceux faits dans les années 80. Les élèves de la classe. Les professeurs. Les parents et autres adultes. La ville. Tout cela inspiré des souvenirs de l'enfant et des amours de l'adulte. Tim Burton, on le sait, aime les «vieux» films d'horreur. D'où les références multiples, dans le récit et dans l'aspect visuel de son film, aux oeuvres classiques qui l'ont formé.

Le personnage du professeur de sciences (vocalement interprété par Martin Landau en version originale, et il est formidable) rend hommage au jeu de Bela Lugosi; Nassor, ennemi implacable, a un physique à la Boris Karloff; E. Gore (prononcé Igor) a des allures de l'assistant bossu du Dr Frankenstein; et Toshiaki adopte l'allure du savant fou japonais croisé dans bien des films. Quant aux fruits des expériences de ces apprentis sorciers, ils sont des cousins des Momie, Godzilla et autres Gremlins.

«Mais il ne fallait pas que l'intérêt de l'histoire se trouve uniquement dans ces références, parce qu'une grande partie du public ne les possède pas, souligne Tim Burton. Il était essentiel que tout se tienne seul.» À cette fin, il a puisé à même la vie. Ainsi, pour créer les personnages d'enfants, il s'est inspiré de vrais «types» d'enfants et de comportements d'enfants: la fille étrange, la brute, le scientifique, l'amitié, la rivalité, la trahison, etc.

Tout cela permet d'enrober le coeur de Frankenweenie, qui bat dans la relation entre un garçon et son chien. Et ça, c'est à la portée - émotive - de tous.

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Trey Thomas: animer

Au fil des ans, Trey Thomas a travaillé sur The Nightmare Before Christmas, Corpse Bride, Coraline, Fantastic Mr. Fox. En 1988, il était même animateur sur la série télévisée Gumby Adventures. Et, au cours des trois dernières années, il a agi à titre de directeur de l'animation de Frankenweenie. Trey Thomas est un pro de l'image par image. Un art qui a bien peu changé au fil des décennies. Et, comme ses pairs, il s'en félicite.

«Bien sûr, certaines technologies, comme les imprimantes en 3D, facilitent la tâche, mais la base du travail reste la même: des marionnettes que l'on manipule et photographie 24 fois pour faire une seconde de film. C'est un processus très long: un animateur réalise en moyenne de six à sept secondes par semaine», résume-t-il. C'est l'une des raisons pour lesquelles Frankenweenie n'a pas été tourné en 3D, qui oblige à déplacer la caméra afin de prendre deux photos (oeil droit, oeil gauche) de chaque position, ralentit donc le processus et «peut nuire à la fluidité de la performance des animateurs».

La conversion s'est faite en postproduction, sous la surveillance de Tim Burton, qui tenait à veiller à tout. «Par exemple, il était essentiel pour lui que le film ait un look fait main», indique Trey Thomas. Un peu à la façon de Ray Harryhausen - le légendaire spécialiste des effets spéciaux qui a travaillé sur Clash of the Titans et les Sinbad, et qui est l'une des influences marquantes du réalisateur. Pour obtenir ce fini, pas de remplacements de visage ni d'utilisation d'images de synthèse, comme ç'a été le cas, par exemple, pour le récent ParaNorman.

Le réalisateur a ainsi veillé à chaque détail, créant lui-même chaque personnage: ses dessins ont servi de base au travail des artistes qui ont fabriqué les marionnettes... presque entièrement en noir, blanc et gris, ce qui accentue leur pur style «burtonien». Mais attention: ces personnages stylisés agissent de façon réaliste. «Si les mouvements sont exagérés, c'est dans certaines limites. Sparky, par exemple, a beau avoir un design particulier, il agit comme un vrai chien et a été animé comme un vrai chien. Victor et lui n'ont pas une relation à la Wallace et Gromit. Les interactions et les émotions

devaient, en tout temps, être vraies», explique Trey Thomas. Et c'est normal, Frankenweenie étant ce qu'il appelle «une autobiographie fantaisiste» de Tim Burton.

La productrice Allison Abbate abonde: «Ce n'est pas seulement sa vision de la vie, mais son expérience de la vie qu'il offre ici. C'est son projet le plus personnel et le plus précieux.» Un beau, un très beau cadeau.

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John August: faire respirer

C'est en 2008 que John August a été sondé pour écrire Frankenweenie... version 2.0, disons. Complice au long cours de Tim Burton pour qui il a signé les scénarios de Big Fish, Charlie and the Chocolate Factory et Corpse Bride, et fan du court métrage, il a immédiatement accepté l'invitation.

«Tim et moi avons tout de suite été sur la même longueur d'onde: nous voulions garder les références aux films d'horreur et, aussi, le réalisme émotif du récit. Par exemple, dans la relation entre Victor et Sparky, pas question d'anthropomorphiser le chien: nous sommes en présence d'un enfant et d'un animal», fait celui qui a eu le défi de faire «parler» la bête sans qu'elle quitte son comportement canin. Lorsque Sparky accueille Victor à la maison après une journée d'école. Quand il rapporte fièrement une balle de baseball. Ou quand son museau et celui de la belle Persephone se frôlent, de part et d'autre d'une clôture.

«L'histoire ne pouvait donc pas être écrite qu'en dialogues», ajoute le producteur Don Hahn, qui a connu Tim Burton lors de son arrivée chez Disney, à la fin des années 70. Sa vision du réalisateur? «C'est un travailleur acharné et quelqu'un de... bizarrement normal. Mais il est introverti et n'aime pas passer beaucoup de temps avec des gens qu'il ne connaît pas.»

D'où la fidélité de Tim Burton aux artistes et artisans avec qui il a partagé de bonnes expériences professionnelles. John August est l'un d'eux. Une complicité les unit. «Tim est constant comme réalisateur. Il sait ce qu'il veut, il nous dit ce qu'il veut, on le lui donne et il ne changera pas d'idée plus tard. Travailler pour lui est un bonheur parce que je sais qu'il a confiance en moi et qu'il n'est pas capricieux.»

Au début du processus de (re) création de Frankenweenie, ils se sont donc assis ensemble et ont discuté. «Il m'a remis une liste des monstres qu'il voulait voir et des types d'enfants qu'il désirait mettre en scène. Mon travail a été d'intégrer l'histoire des uns à celle des autres, d'imaginer la ville, sa dynamique, d'en ouvrir les fenêtres pour observer ses habitants et de faire respirer le tout», explique le réalisateur pour qui chaque personnage pouvait être vu comme un hommage à un acteur ou à une créature de fiction, «tout en continuant à être une vraie "personne" ancrée dans une réalité plausible».

Avec, pour mission ultime, de «trouver des choses qui vont faire sourire Tim et l'exciter». C'est ce qu'on appelle l'amitié - et elle n'est pas que professionnelle.

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Frankenweenie (Frankenweenie) prend l'affiche le 5 octobre.

Les frais de voyage ont été payés par Walt Disney Studios.