L'écrivain Michael Cunningham, qui a remporté le prix Pulitzer pour l'inoubliable The Hours, traversait un moment difficile quand le producteur Jeffrey Sharp lui a téléphoné pour lui demander s'il était intéressé à scénariser le roman de Susan Minot, Evening. Il n'a pas accepté immédiatement. Parce qu'il vouait - et voue encore - une grande admiration à la romancière, avait lu tous ses livres et avait profondément aimé celui qu'on lui demandait d'adapter pour le cinéma.

«Je pense qu'il est normal d'hésiter quand on vous propose de prendre un roman aussi réussi et de le transformer en quelque chose d'autre, racontait l'homme de lettres que La Presse a rencontré dans un hôtel new-yorkais. D'ailleurs, en général, les bons films sont, au départ, des livres bien ordinaires. The Godfather en est le meilleur exemple.» On pourrait le contredire - The Hours est un grand roman et un grand film... mais c'est une autre histoire.

Bref, Michael Cunningham a finalement plongé. Parce que lors du fameux coup de fil, il se trouvait au chevet de sa mère. Très malade. Elle allait mourir six mois plus tard. «Et on me proposait de réinterpréter l'histoire d'une femme mourante, Ann, qui, entourée de ses enfants, regarde en arrière, fait le bilan. Et constate que même si elle a fait des erreurs et pris de mauvais tournants, elle a vécu. Vraiment. Une vie pleine. Or, c'est exactement ce que je vivais avec ma mère. La coïncidence était trop grande pour repousser l'offre.»

Il l'a donc acceptée. Mais pas avant d'avoir téléphoné à Susan Minot. Il voulait avoir son approbation. «Ma loyauté première va toujours aux écrivains. Je savais que j'allais devoir apporter d'énormes changements à son livre, je voulais être sûr qu'elle soit à l'aise avec ça, surtout qu'elle avait déjà écrit une première version du scénario - très belle mais pas assez cinématographique. Elle m'a répondu: Bien sûr que vous allez faire des changements! C'est exactement pour cela que nous faisons appel à vous! Et nous avons très bien travaillé ensemble», fait Michael Cunningham qui, comme Susan Minot, fait partie des producteurs du film réalisé par Lajos Koltai et mettant entre autres en vedette Claire Danes, Vanessa Redgrave, Natasha Richardson, Toni Collette et Mamie Gummer.

Le réalisateur d'origine hongroise, immense directeur photo, a été recruté pour les grandes qualités de Fateless, le premier long métrage qu'il a réalisé, inspiré de la biographie d'un homme qui a survécu à l'Holocauste. «Mais je ne voulais surtout pas que mon deuxième film porte sur ce sujet. Ce que je veux, c'est parler de l'humain au-delà des événements et de l'histoire.»

Normal: l'humain est ce qui intéresse cet homme que «ses» actrices disent exceptionnel. «Il ne regardait pas dans la caméra, ne mettait pas les écouteurs sur ses oreilles. Il nous regardait, nous écoutait. Il était vraiment là, avec nous. Pour nous», raconte Claire Danes, qui incarne Ann du temps de sa jeunesse. Ainsi, quand Lajos Koltai a rencontré Vanessa Redgrave - qui se glisse dans la peau d'Ann aujourd'hui, mourante - «nous avons parlé de la douleur. Pas du texte ni du rôle», raconte-t-il.

L'humain, donc. Et l'image. «Parce que si vous avez une bonne image, vous écoutez ce que les gens ont à dire. Si vous ne l'avez pas, vous n'écoutez pas, vous ne vous intéressez pas». Or, il a, dans Evening, des images extraordinaires. D'abord le lieu de tournage, une fabuleuse pointe de terre de Long Island, une maison de rêve. Et puis, les deux couples mère-fille qu'il a pu avoir devant sa caméra. Vanessa Redgrave et Natasha Richardson, qui jouent... une mère et sa fille. Meryl Streep et Mamie Gummer, qui se glissent dans la peau de la même Lila, la meilleure amie d'Ann - mais à deux temps de sa vie.

Elles se ressemblent tellement que c'en est troublant. Et criant de vérité. «Quand j'ai passé l'audition à Mamie, je l'ai trouvé parfaite pour le rôle... et je trouvais qu'elle ressemblait à Meryl Streep, se souvient le réalisateur. C'est là qu'on m'a appris que c'était sa fille! À ce moment-là, je me suis dit qu'il fallait tenter d'avoir Meryl pour interpréter Lila plus âgée.» L'actrice a accepté. À condition que son nom n'apparaisse jamais au-dessus de celui de sa fille.

Pour ce qui est de Vanessa Redgrave et Natasha Richardson, c'est la première fois qu'elles avaient l'occasion d'interpréter une mère et sa fille à l'écran. «Quand j'ai réalisé cela, note Michael Cunningham, j'ai aussi réalisé que je n'avais aucune scène dans laquelle elles échangeaient sur des choses vraiment significatives! Je la leur ai écrite.»

Les principales concernées lui en sont reconnaissantes. «Ça a été une chance unique d'utiliser notre amour, nos peines, nos difficultés, l'entièreté de notre relation pour un rôle. Dans cette scène-là, il est très difficile de départager ce qui est joué de ce qui est nous», dit Natasha Richardson, qui reconnaît avoir trouvé difficile, durant le tournage, de voir sa mère allongée sur un lit, décoiffée, pas maquillée, le corps abandonné à la souffrance - feinte, mais avec tant de justesse!

Quand la vie se mêle de cinéma...

Evening prend l'affiche vendredi au Québec. Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Alliance Atlantis Vivafilm