Lorsqu'il s'est lancé dans le tournage du documentaire Michael Moore : Ange ou démon?, Rick Caine vouait une admiration de longue date et presque sans bornes au controversé réalisateur américain. Il louait son courage, son style corrosif, ses idées politiques. Depuis, l'idolâtrie a laissé place à un certain désenchantement...

«Ange ou démon, Michael Moore?» s'interroge le cinéaste torontois à la suite de la question du Soleil sur le titre français de son film, Manufacturing Dissent. «Un peu des deux, tout dépend du point de vue où l'on se place. La droite conservatrice américaine va certainement retenir son mauvais côté avec ce film...»

C'est lorsque Moore est allé chercher son Oscar pour Fahrenheit 9/11, en mars 2003, que Caine a eu l'idée d'un documentaire sur le cinglant personnage à casquette. Fidèle à sa réputation, Moore avait alors livré un discours enflammé contre l'administration Bush et son plan militaire en Irak.

«J'étais dans mon salon et j'applaudissais. C'était un geste de bravoure et de courage, livré avec cour, qui tranchait avec les discours habituels aux Oscars, où tout le monde remercie tout un chacun. Moore a forcé un débat sur la guerre en Irak alors que 80 % des Américains soutenaient la politique de Bush.»

Pendant deux ans et demi, Caine et la coréalisatrice Debbie Melnyk ont accumulé les témoignages d'amis et d'ex-collaborateurs de Moore. Contre toute attente, la biographie classique qu'ils s'apprêtaient à faire sur lui s'est transformée en un portrait peu flatteur.

Le duo a découvert que le cinéaste n'hésitait pas à l'occasion à trafiquer la réalité pour parvenir à ses fins. Dissimulation d'informations pertinentes, images sorties de leur contexte, manipulation de la chronologie des événements, les accusations sont nombreuses et dévastatrices. D'où le titre original, et fort éloquent, Manufacturing Dissent (la fabrication de la contestation), clin d'oil au documentaire Manufacturing Consent (la manipulation de l'opinion publique) sur l'activiste de gauche Noam Chomsky.

«Le problème le plus grave avec Michael Moore, et avec tous les médias en fait, explique Caine, c'est lorsqu'ils se mettent à mentir. Si un documentaire de Moore, ou encore un réseau comme Fox News, ne dit pas toute la vérité, le public ne pourra faire un vote éclairé au moment des élections, un vote basé sur de vraies informations. Au bout du compte, la démocratie n'en sort pas gagnante.

«Le danger, poursuit-il, est de bâtir quelques-unes de ses argumentations sur des mensonges et que tout le film devienne une sorte de château de sable, donnant ainsi l'occasion au spectateur de remettre en question l'ensemble de l'ouvre.»

Pas de réponse

Malgré leurs demandes répétées, Caine et Melnyk n'ont jamais pu obtenir un rendez-vous avec le sujet de leur reportage. Ironiquement, il se sont fait faire le même coup dont Moore disait avoir été la victime dans Roger & Me, où il cherchait désespérément à rencontrer le grand patron de General Motors, Roger Smith.

Or, à deux reprises, est-il expliqué dans le film de Caine et Melnyk, Moore a parlé avec Smith, sans toutefois en faire mention dans son documentaire. Un honneur que n'ont pas eu les deux cinéastes, et ce n'est pas faute d'avoir essayé.

«Nous lui avons envoyé des courriels et des messages sur son BlackBerry. Nous avons téléphoné à ses deux résidences, à New York et dans le Michigan. Notre avocat lui a fait parvenir une lettre de quatre pages lui expliquant notre projet. Malgré ses promesses, nous n'avons jamais obtenu de réponses...»

D'après ce qu'en sait Rick Caine, Moore n'aurait pas vu Manufacturing Dissent. Et sa réaction, pas tellement cordiale, donne à penser qu'il n'est pas intéressé à le faire, du moins pour le moment. «Des putains de menteurs (fucking liars) qui visent essentiellement à exploiter mon nom», se serait-il contenté de dire.

Château de sable

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Caine demeure un fan de Moore. Grâce à lui, le documentaire a retrouvé ses lettres de noblesse et prend l'affiche en salles, aux côtés des blockbusters. Ces révélations vont seulement amener le public à exercer davantage son esprit critique.

Le prochain film de Moore, Sicko (à l'affiche vendredi prochain), qui dénonce les failles du système de santé américain, souffre lui aussi de graves lacunes, de l'avis de Caine, en présentant le système canadien comme quasi paradisiaque.

«Ce que j'ai vécu avec un membre de ma famille, il y a quelques mois, dans un hôpital de Montréal, n'a rien à voir avec ce qu'il avance. J'étais véritablement dans une scène des Invasions barbares (rires). Moore a une vision très noir et blanc de la réalité. La sienne et la nôtre (celle des Canadiens) ne concordent pas du tout.»