Rares sont les adultes qui peuvent se vanter de vivre au quotidien leurs rêves d'enfance. Les employés de la compagnie d'effets spéciaux fondée par George Lucas, Industrial Light and Magic (ILM) sont de ceux-là.

Travailler pour le père de Star Wars, François Lambert l'avoue candidement, c'est un peu comme « aller jouer pour le Canadien de Montréal, avec toutes ses coupes Stanley. ILM est une compagnie qui a de l'âge, et qui a eu beaucoup d'honneurs ».

C'est chez ILM que sont nées des prouesses techniques passées à l'histoire. De l'épopée des étoiles à ET en passant par Indiana Jones, Mars Attacks, Harry Potter ou Poséidon, la compagnie, établie à San Francisco, a glané, en 30 ans d'existence et 259 films, pas moins de 48 prix, dont 15 Oscars.

Le dernier grand coup d'ILM ? Davy Jones et l'équipage du Flying Dutchman de Pirates des Caraïbes : jusqu'au bout du monde (Pirates of the Caribbean : At World's End). Grâce à eux, la société d'effets visuels a récolté, entres autres récompenses, son plus récent Oscar et six prix de la Visual Effect Society, dont l'un décerné à un French Canadian, François Lambert.

« Cela a été une grosse année. Le film a fait plus de 1 milliard $US de recettes à l'échelle mondiale. C'est un gros highlight dans ma carrière, acquiesce François Lambert, joint au téléphone en Californie. Personnellement, c'est le premier film sur lequel j'ai travaillé qui gagne autant de prix. »

Depuis son arrivée chez ILM il y a quatre ans, ce superviseur de séquences a bossé sur de gros projets : Star Wars Episode 3, Harry Potter et la Coupe de feu, Rush Hour 3 et Transformers. Sans oublier les deux derniers volets de Pirates des Caraïbes. « Cela fait un an et demi que je suis dans les pirates », plaisante-t-il.

Âgé de 30 ans, François Lambert ne semble pas être de ceux que les défis et les superprojets, super-productions et superpressions effarouchent. « Chaque film apporte son lot de défis. Il y a toujours des scénaristes à Hollywood qui vont trouver des nouvelles idées farfelues », dit-il, philosophe.

L'idée fantasque étant, sur Pirates des Caraïbes, de donner vie à des personnages virtuels, mais aussi au maelstrom durant lequel les pirates se livrent leurs derniers affrontements. « Ce qui a été nouveau pour moi, c'est non seulement de faire de l'eau virtuelle, mais de l'eau chorégraphiée. Chaque plan amène un défi très grand », estime Mathieu Boucher, 34 ans, premier directeur technique.

C'était une première expérience chez ILM pour Mathieu Boucher, qui venait de mettre sa touche magique à Les Petits Pieds du bonheur, Le Retour de Superman et Narnia. « C'est un très beau projet, c'est un beau défi, c'est la meilleure équipe au monde. Cela n'a pas été infernal comme d'autres projets que j'ai pu faire avant », glisse-t-il.

Dans la cour des grands

Le rythme de travail est fou. Mais c'est un moindre mal pour acquérir de l'expérience parmi les plus grands créateurs de ce monde. « Au bureau, le mec à côté de moi, c'est celui qui a fait la maquette de ET. Dans le bureau, il y a le rouleau compresseur qui écrase le méchant dans Who Framed Roger Rabbit. Il y a un background chez ILM, des gens qui travaillent en effets spéciaux depuis des décennies », s'enthousiasme Mathieu Boucher.

Pour Pirates des Caraïbes : jusqu'au bout du monde, le Montréalais a travaillé sous la houlette de grosses pointures, telles que John Knoll. « C'est le mec qui a créé Photoshop avec son frère. Quand il te dit de vérifier tes couleurs, c'est parce qu'il a un oil hallucinant. Cela rend humble de travailler avec des gens comme ça », juge-t-il.

Entre les centres de formation (le Centre NAD, à Montréal), les logiciels de pointe créés par des entreprises montréalaises (Softimage, Discreet) et des employeurs reconnus dans les effets spéciaux (Meteor Studios, Hybride), les Montréalais débarquent avec un solide bagage aux États-Unis.

Moins de trois semaines se sont écoulées entre le moment où François Lambert a envoyé son démo à ILM et la signature de son premier contrat. « Je suis parti avec ma voiture et trois valises, mon vélo de montagne, ma planche à neige. C'était vraiment la ruée vers l'Ouest. Et puis après cinq mois, mon contrat a été prolongé, et je suis resté », raconte-t-il.

François Lambert n'est pas un pionnier. « Le bouche à oreille en ce qui concerne les Québécois est très favorable. Ceux qui sont venus ont tous laissé leurs marques », poursuit-il.

Xavier Bourque, 29 ans, compositeur numérique, a réalisé son premier contrat aux États-Unis pour Pirates, grâce à un processus de recrutement, certes, mais aussi une plug montréalaise, François Lambert.

Christophe Pacaud, un compositeur numérique d'origine française qui a vécu 15 ans à Montréal, ne sait pas comment ses coordonnées se sont retrouvées chez ILM. Chose certaine, ses précédentes expériences pour 300 et Mémoires de nos pères sont des antécédents favorables. « C'était l'une des plus belles expériences de ma carrière », estime-t-il.

Entre la Californie et le Québec, le travail reste sensiblement le même. À une différence près : le gigantisme américain. « C'est comme comparer un ébéniste et une usine de meubles en série. À Montréal, c'est plus artistique, parce que l'environnement et la structure sont moins développés. Aux États-Unis, les structures sont de grosses usines », estime Mathieu Boucher.

Le rêve américain est plus accessible que l'on pourrait croire. François Lambert se montre particulièrement encourageant avec ses compatriotes. « On pense souvent que c'est inaccessible. Mais il faut persévérer, les Québécois ont une belle expertise, une belle attitude, et c'est ce que les grosses compagnies recherchent. On est de très bons candidats. »

La ruée vers l'Ouest des Québécois pourrait-elle se transformer en exil ? Pas sûr. « C'est une expérience très bien, mais très dure. Il y a des défis techniques, mais ce n'est pas comme la magie du cinéma. C'est un boulot excessivement exigeant, tout n'est pas rose », relativise Nathalie Girard, 33 ans, compositrice numérique.

François Lambert, jeune père de famille, projette d'ailleurs un retour au Québec à plus ou moins long terme. « C'est sûr que je suis très bien ici, mais le Québec me manque », dit-il. Pragmatique, Mathieu Boucher envisagerait quant à lui un retour pour, non pas la carrière ou le « doux » climat de la province, mais pour « les proches, et le prix des maisons aussi », précise-t-il en riant.