Après la trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie, Lucas Belvaux s'est lancé très vite dans La raison du plus faible, un polar social inspiré d'un fait divers qui avait déjà attiré l'attention à Liège.

Lucas Belvaux ne s'en cache pas. Le succès critique et public de sa trilogie Un couple épatant/Cavale/Après la vie a radicalement changé son statut au sein de la profession. «Personne ne croyait à un projet aussi fou, expliquait le cinéaste un peu plus tôt cette semaine au cours d'un entretien téléphonique. Or, le projet s'est révélé rentable en bout de piste parce que le mode de production était foncièrement modeste.»

À vrai dire, le projet était si ambitieux qu'on ne peut pratiquement désormais plus parler de Lucas Belvaux sans évoquer cette éclatante réussite artistique. La trilogie, rappelons-le, racontait en trois films une seule et même histoire, selon les points de vue des différents protagonistes.

«Il est certain que la trilogie occupe une place à part dans ma vie, commente Belvaux. Il s'agissait d'un projet unique, tant sur le plan humain que professionnel. Tous les artisans qui ont travaillé sur ces films étaient pleinement conscients du fait qu'ils n'auraient plus jamais l'occasion de vivre une expérience du même genre.»

En désespoir de cause, il s'était même donné un rôle, l'acteur à qui il pensait au moment de l'écriture ayant décliné son offre. «La trilogie m'a aussi fait redécouvrir le plaisir du jeu!» concède l'acteur et cinéaste d'origine belge, aujourd'hui âgé de 45 ans.

Ainsi, la fameuse trilogie aura été marquante à plus d'un égard. Dans de telles circonstances, certains créateurs choisiraient probablement de rester sur la lancée d'un tel succès. Belvaux, lui, a préféré tourner la page tout de suite et plonger dans d'autres aventures.

«Je ressens le besoin d'évacuer les choses très vite. J'ai toujours l'impression de repartir à zéro. J'ai voulu sortir de la trilogie tout de suite.»

Belvaux s'est ainsi lancé dans la réalisation de Nature contre nature, une comédie «politico-psychanalitique» réalisée pour le compte d'une chaîne de télévision. Il s'est aussi attelé parallèlement à l'écriture du scénario de La raison du plus faible, qui allait devenir son prochain film.

Un certain militantisme

Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes l'an dernier, La raison du plus faible est un thriller social pour lequel Belvaux s'est inspiré d'un fait divers qui a déjà attiré l'attention à Liège. Un braqueur de banques s'était en effet réfugié sur le toit d'un édifice et avait lancé, traqué par la police, le fruit de son butin - plusieurs milliers d'euros - dans les airs, à la grande joie du bon peuple en bas qui ramassait la manne. À partir de cet incident, Belvaux a imaginé une histoire dans laquelle trois copains, «rejetés» par la société dite «productive», organisent un «hold-up». À leurs yeux, il s'agit de la seule solution pour se sortir de leur misère sociale. Ces trois amateurs, qui n'ont jamais trempé dans ce genre d'histoires, s'associent ainsi à un repris de justice rangé. Forcément, les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu.

À travers les déboires de ces quatre laissés-pour-compte, Belvaux fait évidemment écho au profond désespoir dans lequel s'enlisent ceux dont la qualité de vie n'arrête pas de se détériorer. Autrefois employés compétents dans les usines du voisinage, aujourd'hui victimes des politiques de «délocalisation» et de «restructuration» des entreprises, ces gens en viennent ainsi, faute de mieux, à verser dans une logique implacable.

«Il est évident que j'exprime une certaine forme de militantisme dans ce film, explique Lucas Belvaux, qui, en passant, s'est donné le rôle du repris de justice dans son film. Cette situation mérite d'être dénoncée. Je ne crois pas qu'un film puisse changer le monde, mais il peut à tout le moins attirer l'attention sur une problématique. On peut ouvrir les yeux. On peut aussi changer le regard que les gens portent sur une situation.»

Le cinéaste estime aussi que La raison du plus faible constitue probablement son film le plus personnel. Notamment parce qu'il le renvoie à ses propres origines, celle d'une classe ouvrière prise en otage au fil de l'évolution de la société industrielle.

Pour l'heure, Lucas Belvaux a repris le chemin des plateaux. Il réalise présentement un téléfilm sur l'affaire Elf, un scandale politique et financier qui a secoué la France au cours des dernières années. Claude Brasseur et Nicole Garcia font notamment partie de la distribution. L'affaire avait déjà librement inspiré Claude Chabrol pour L'ivresse du pouvoir mais le scénario du téléfilm, précise Belvaux, est directement tiré du dossier, et notamment du procès.

Après, le cinéaste devra choisir lequel des deux scénarios «relativement avancés» constituera son prochain projet de film.

«Je devrai choisir très bientôt, c'est sûr. Je suis convaincu que l'un des deux s'imposera de lui-même.»

La raison du plus faible est présenté aujourd'hui à 14h au Festival du film de Tremblant. Il prend l'affiche en programme régulier le 29 juin.