Cruel, tendre, bouleversant, vrai. Le cinéma d'Ingmar Bergman laisse une empreinte significative sur les artisans du septième art québécois. La Presse en a joint quelques-uns pour discuter de l'oeuvre du réalisateur suédois. «Le dernier des grands», au dire du cinéaste Bernard Émond.

«C'est un génie du cinéma, dit le président du Festival des films du monde, Serge Losique. Je le place au panthéon, parmi les cinq meilleurs cinéastes de l'histoire.»

Le réalisateur de Maurice Richard, Charles Binamé était sous le choc quand La Presse lui a annoncé la mort de Bergman. «C'est mon cinéaste phare. C'est lui qui m'a donné le goût du cinéma. Il nous a donné des films qui sont un pur ravissement, d'une maîtrise totale. C'est très émouvant pour moi d'apprendre son décès.»

«C'est une très grande tristesse, dit Denis Villeneuve, l'homme derrière Maelström. Pour moi, c'est un cinéaste de chevet que je chéris profondément. Comme on a des livres de chevet, il y a quelques films de Bergman que je peux consulter de temps en temps pour me remettre le cerveau à jour.»

«C'est plus qu'un incontournable», dit Catherine Martin, réalisatrice de Dans les villes.

«J'ai vu mon premier Bergman à 15 ans et ça a été fondamental pour moi, raconte-t-elle. Il fait partie des cinéastes qui nous apprennent à vivre par leur art. On a besoin d'un cinéma de ce type-là pour essayer de se comprendre soi-même et de ressentir autrement le monde.»

«Il a réussi à creuser l'âme humaine comme peu de gens l'ont fait», souligne Denis Villeneuve, qui se décrit plus comme un amateur de Bergman que comme un expert.

Jamais banal

De sa recherche sur l'âme, Bergman n'a jamais rien tiré d'ordinaire. «Avec lui, il n'y avait jamais rien de banal, c'était toujours extrême», dit le directeur de la conservation et de la programmation à la Cinémathèque québécoise, Pierre Jutras.

C'est un peu ce qui transparaît dans le propos que tient Catherine Martin sur le lien entre Bergman et la condition humaine: «Peu de gens ont été aussi loin dans la cruauté envers l'être humain, et en même temps dans la tendresse.»

Dans Scènes de la vie conjugale, par exemple, «il est allé chercher toutes les facettes qu'on peut vivre ou redouter de vivre en couple», note Charles Binamé. «Il nous dit des choses très dures sur la condition humaine», ajoute Bernard Émond.

«Il était très cruel quand il parlait des femmes, dit Serge Losique. Mais c'était la vérité crue. Les problèmes de couple, ce n'est pas juste dans les films de Bergman.»

«Quand tu vois ses films, c'est un appel à être honnête, note Denis Villeneuve. Il parlait de choses douloureuses, qui tourmentent l'âme et il les mettait au grand jour. Il parlait de l'intimité et il la rendait universelle.»

Lucidité et simplicité

Mais tout le talent de Bergman réside aussi dans la façon dont il dit les choses. «C'est d'une lucidité et d'une intelligence qui m'ont toujours profondément troublé, dit Denis Villeneuve. Il a abordé tous les grands thèmes avec une simplicité qui n'a pas eu d'égal à mon humble avis.»

Enfin, c'est par ses images que Bergman marque les esprits. «Pour un réalisateur, voir un Bergman, c'est admirer un savoir-faire époustouflant, soutient Bernard Émond. Personne dans l'histoire du cinéma n'a fait des scènes à deux comédiens comme lui les a faites. C'est extraordinaire d'intensité et de retenue.»

«Il réussissait à aller chercher chez ses acteurs des performances exceptionnelles», ajoute le réalisateur de La neuvaine. «Il travaillait sur la fusion entre l'acteur et le texte, ce qui fait la magie du cinéma», dit Charles Binamé.

Prolifique, Bergman a réalisé une cinquantaine de films, «dont une douzaine de chefs-d'oeuvre», selon Bernard Émond.

Pour Charles Binamé, le réalisateur suédois est un exemple de constance: «Il fouille l'âme humaine, autant dans ses films plus mystiques ou religieux que dans ses films davantage fondés sur des rapports humains.»

«L'oeuvre de Bergman est incroyable de cohérence et de beauté», conclut Catherine Martin.

Cinq essentiels d'Ingmar Bergman

La filmographie d'Ingmar Bergman compte près de 70 films, dont certains tournés d'abord pour la télévision. Parmi eux, on compte de nombreux chefs-d'oeuvre. En choisir cinq, c'est en choisir nécessairement trop peu, mais la plupart des observateurs s'entendent pour dire que Le septième sceau, Persona, Scènes de la vie conjugale, Sonate d'automne et Fanny et Alexandre ont marqué la carrière du cinéaste suédois.

1. Le septième sceau (1957)

«Un film métaphysique, un dialogue entre le diable et le bon Dieu. Bergman a voulu régler ses comptes avec son père, un prêtre luthérien.»

- Serge Losique, fondateur du FFM.

2. Persona (1966)

«LE film sur la projection de l'identité sur quelqu'un d'autre. Un film qui m'a profondément bouleversé. Un film d'une beauté fulgurante. D'une simplicité et d'une profondeur. Les femmes sont filmées dans ce film comme jamais elles ne l'ont été au cinéma. Bibi Andersson et Liv Ullmann, j'étais amoureux!»

- Denis Villeneuve, réalisateur de Maelström, Un 32 août sur terre...

3. Scènes de la vie conjugale (1973)

«C'est le labyrinthe du couple, une vision pessimiste. C'est l'aventure du couple dans ce qu'il y a de plus lucide et de plus douloureux au cinéma.»

- Denis Villeneuve, réalisateur de Maelström, Un 32 août sur terre...

4. Sonate d'automne (1978)

«Un film très cruel et tendre pour ses personnages. On voit sur le visage d'Ingrid Bergman quelque chose que l'on n'avait jamais vu auparavant. Un film très difficile à regarder, d'une cruauté et d'une vérité à la limite du supportable.»

- Catherine Martin, réalisatrice de Mariages, Dans les villes...

5. Fanny et Alexandre (1982)

«Le film grand public de Bergman. Les scènes de rêve sont extraordinaires. Personne n'arrive à faire vivre des personnages de rêve de façon si élégante.»

- Bernard Émond, réalisateur de Contre toute espérance, La neuvaine.