Après la croyance, l'espérance. Bernard Émond poursuit dans Contre toute espérance sa trilogie sur les vertus théologales, entamée par La neuvaine. Peut-on encore espérer aujourd'hui? demande le cinéaste, dans ce drame intime et presque silencieux, brillamment interprété par Guylaine Tremblay et Guy Jodoin. La Presse s'est entretenue avec les artisans d'une tragédie ordinaire, avant leur départ pour le Festival de Locarno, où le film était en compétition.

C'est une histoire simple, belle et triste à la fois. Réjeanne (Guylaine Tremblay) et Gilles (Guy Jodoin) sont des gens de peu, qui perdent peu à peu tout ce qui faisait leur vie : travail, santé, maison. Que reste-t-il quand tout fout le camp? L'espérance, peut-être.

«Le véritable sujet du film, c'est la difficulté d'espérer dans le monde dans lequel on vit. Le monde rend l'espoir difficile», explique Bernard Émond. Le réalisateur de La neuvaine et de 20h17 rue Darling refuse pourtant la fatalité, tout comme la résignation.

On sent le coup de griffe du réalisateur quand Réjeanne, une simple téléphoniste employée dans une société canadienne, assiste à la «délocalisation» de son emploi vers «une zone concurrentielle». Un jargon libéral et fataliste qui ne convainc, à l'évidence, pas Bernard Émond.

«On vit de plus en plus dans une société fataliste. On se sent constamment impuissant devant les délocalisations. C'est comme si on revenait à la fatalité des grecs. Mais je ne peux pas croire que c'est le marché qui veut ça. Je ne peux pas croire que l'on n'y peut rien.»

À la manière des cinéastes européens (Bruno Dumont, les frères Dardenne ou encore Ken Loach), les drames les plus intimes ont chez Émond des ressorts sociaux et politiques. «On ne voit plus le travail dans le cinéma québécois. La réalité sociale est absente. Il y a quelque chose qui me fait très peur de voir à quel point les cinéastes québécois aient abandonné la réalité. Il n'y a plus que des consommateurs au Québec», juge le réalisateur.

«Faire des films, pour moi, c'est aussi un acte de résistance : résistance politique, et culturelle. Je m'oppose dans mon cinéma au divertissement dominant. Une bonne partie de la culture dominante contemporaine consiste à cacher, masquer. On est en train de mourir de rire au Québec, si ce n'est pas déjà fait.»

À contre-courant donc, Bernard Émond propose une vue sur «la beauté du monde» sans concessions pour le vulgaire, le trivial ou le déjà-vu. Quand La neuvaine questionnait la croyance, Contre toute espérance montre la difficulté d'espérer. Le dernier volet sera consacré à une autre vertu chrétienne : la charité.

«Le troisième film, la charité, va dire que le monde est peut-être désespérant mais que nous pouvons quelque chose, vivre en confiance. Le film va remonter un peu vers la lumière», dit Bernard Émond. Cette remontée se fera avec le médecin de La neuvaine, en Abitibi.

Bernard Émond croit. Mais, contrairement à ce que les références catholiques de ces films pourraient laisser croire, ce n'est ni en Dieu ni en ses saints que l'auteur se voue. «Un non-croyant comme je suis croit en un humanisme de justice sociale et d'égalité», explique-t-il.

Pourquoi les références chrétiennes? «Parce que j'ai passé tous mes premiers vendredis du mois au catéchisme», répond, du tac au tac, Bernard Émond. Puis, plus sérieusement, le cinéaste évoque l'héritage, en Occident comme au Québec, de la tradition judéo-chrétienne.

«Il y a dans la tradition judéo-chrétienne une richesse qui nous permet de comprendre le monde. À la manière d'un anthropologue, j'ai eu envie de me servir des métaphores et des rituels de ma tribu pour parler de l'époque contemporaine», justifie-t-il.

«Je ne m'ennuie pas de Duplessis, et il y a eu un rejet de la religion pour d'excellentes raisons. Mais on peut se dire qu'il y a dans cet héritage-là des choses à conserver, plaide le réalisateur. On est en train de vivre une véritable déculturation, une véritable rupture avec le passé, qui fait de nous non plus des citoyens mais des consommateurs encadrés par leurs cartes de crédits et leur poste de télévision.»

Comme pour ses précédents films, Bernard Émond met ses personnages et ses décors à nu dans Contre toute espérance. «J'essaie d'arriver à une forme de vérité profondeur, où les artistes et le cinéma ne produisent pas plus de mensonges que de vérité, dit le réalisateur. Je refuse de manipuler le spectateur, avec la musique, ou le montage. Cela va à l'encontre du cinéma dominant, et je l'assume parfaitement.»

Sur ses acteurs, Guylaine Tremblay et Guy Jodoin, Bernard Émond ne tarit aucun éloge. «Cela a été formidable de travailler avec Guy. Il avait envie d'aller là où on ne l'avait encore jamais emmené. C'est un acteur très généreux et très travailleur», raconte-t-il.

Dans la partition tragique que leur a composée Émond, Guy Jodoin et Guylaine Tremblay offrent des prestations sans artifice. «Pour moi, le film est un écrin pour le jeu des comédiens», dit tout simplement le réalisateur.