Après l'univers urbain, Louis Bélanger s'offre un film au grand air. Les tracas des gaz bars et des chambres de motel laissent la place aux épinettes et sapins touffus des vastes étendues de la réserve faunique de Port-Cartier. De Sept-Îles, il faut rouler pendant plus d'une heure sur les pistes au travers des bois, pour trouver les premiers signes du tournage de The Timekeeper.

Des tentes de toile et de bois sont dressées dans une petite clairière, à l'écart de la piste. Juchés sur un vieux pick-up, Roy Dupuis, Craig Olejnik, Julian Richings, acteurs d'un «film d'aventure style western contemporain»: The Timekeeper, le dernier-né anglophone de Louis Bélanger.

Adapté d'un roman de l'écrivain Trevor Ferguson, The Timekeeper raconte les désespoirs et errances, dans les années 60, d'un groupe d'hommes, déportés dans les Territoires du Nord-Ouest pour construire une voie ferrée. Dans ce désert boisé, ils vont devoir apprendre à survivre, et recréer leur propre monde. Un groupe de fuyards va tenter d'échapper à cette société d'un genre nouveau.

«Ceux qui sont là n'ont pas la conscience claire. Là-dedans, il y a un jeune de 19 ans, Martin, qui se rend compte que tout ce qu'il a appris dans sa vie ne tient plus ici. Tous les principes moraux qu'on lui a montrés s'effondrent. C'est un jeune agneau au milieu d'une gang de loup», raconte le réalisateur et coscénariste Louis Bélanger, rencontré sur le plateau de tournage.

Au milieu de la réserve faunique de Port-Cartier et à Sept-Îles, le tournage de The Timekeeper recrée sans trop d'artifice le dénuement extrême de ceux qui s'y trouvent prisonniers. Au milieu des bois coulent des rivières, poussent des voies ferrées, et s'affrontent, dit Louis Bélanger, le bien, le mal, la morale.

Tourné en studio, en 11 jours, avec un budget de 1 million, Le génie du crime, le précédent film de Bélanger, confinait à la claustrophobie. Ici, l'enfermement est tout autre. «J'avais le goût de tourner à l'extérieur de Montréal, j'étais tanné de l'urbain. J'avais envie de grands espaces, d'un grand projet», poursuit Bélanger.

Avec The Timekeeper, on peut dire que les voeux de Louis Bélanger ont été exaucés: 31 jours de tournage, à l'extérieur exclusivement, à deux heures à la ronde du premier café et 10 heures en voiture de Montréal. «C'est une grosse affaire ambitieuse, c'est gros! Ça n'a pas de bon sens! Même sortir une caméra, ici, c'est physique», raconte-t-il, exténué, mais ravi.

La veille de notre venue sur le plateau de tournage, la pluie a détrempé les sols de la réserve, mais aussi les techniciens et les comédiens, qui travaillaient en plein air. Parlez-en à Roy Dupuis: «La journée a été rough. Il faisait frette, il ventait», dit l'acteur, rencontré à l'occasion de son dernier jour de tournage.

En chemise à carreaux, les doigts et le visage noircis, les oreilles sanguinolentes, le comédien arbore une barbe touffue. Après L'instinct de mort, le biopic sur Jacques Mesrine, Roy Dupuis incarne - encore - un personnage «salaud», Scully. «C'est un gros criss, un petit bandit qui s'est retrouvé sur ce chantier. C'est un homme violent, il n'aurait pas de difficulté à tuer quelqu'un», explique-t-il.

Scully, ce gars «tout croche», se fait expulser du groupe de construction. Il prend la direction des bois, avec Martin (Craig Olejnik) et Greace (Julian Richings). L'inattendu peut tout à fait se produire: «Scully est le seul personnage que j'ai joué et que je considère comme purement méchant. Avec lui, on ne sait jamais à quoi s'attendre», renchérit Roy Dupuis.

Roy Dupuis en salopard, donc, pour le plus grand plaisir de Louis Bélanger. «J'avais le goût qu'il joue un vilain. Et il est excellent. C'est un magnifique vilain», dit Louis Bélanger.

À l'opposé, le jeune Martin, joué par Craig Olejnik (Runaway) pourrait bien se faire bouffer tout cru. «Martin a été élevé par son père, un homme qui est contre la violence et l'idée de hiérarchie. Dans le camp, les hommes ont recréé leur propre hiérarchie. Il va questionner ce monde d'hommes», dit son interprète.

Amaigri, le visage creusé, Julian Richings (vu chez François Girard dans Le violon rouge) incarne le plus fragile des fuyards, Greace. «Je suis faible, mais résistant. Mon personnage a un esprit fort, et il maintient dans le groupe de fugitifs un équilibre certain, en s'assurant que personne ne tue personne», raconte le comédien.

«C'est western au boutte ce qu'on est en train de faire, estime Louis Bélanger. On tourne tout en cinémascope, le langage est plus épuré. Avec des décors pareils, ce serait criminel de faire de gros plans. Ici, c'est ce qu'on a de plus beau au Québec. Au mont Tremblant, t'as pas tout ça», dit Bélanger.

Ce que le reste du Québec n'a pas non plus, ce sont également des figurants jouant du marteau comme de «vrais» constructeurs de rails. Et pour cause: ceux de The Timekeeper ont été recrutés à la fois pour construire les décors mais aussi pour jouer les forçats. «Ici, j'avais des équipes de 40 figurants, des figurants qui fessaient au marteau. Ce sont des bonshommes super contents de montrer ce qu'ils ont fait toute leur vie», dit Bélanger.

The Timekeeper est sans conteste un projet ambitieux. Son producteur, Réal Chabot, entend bien présenter le film québécois anglophone dans un grand festival de cinéma européen ou nord-américain. «C'est le défi, de percer le marché à l'international, le marché canadien anglais et américain», dit-il.

De son côté, Louis Bélanger assure: «Quand je fais un film dans une chambre d'hôtel, ou dans les bois, que ce soit en anglais ou en français, pour moi c'est pareil, je mets tous mes rêves là-dedans.»

Pour l'heure, le réalisateur se concentre sur la fin d'un tournage exigeant, «Je ne suis même plus capable de lire un roman policier. Ici, on n'a pas de famille, sauf celle qu'on se recrée. Cela va être difficile de sortir de cette expérience.»