Dans sa section spéciale consacrée au Festival de Toronto, l'hebdomadaire culturel Now titrait ceci: «Why Michel Brault Matters». Dans cet article, on expliquait au lecteur anglophone la place immense qu'occupe le réalisateur des Ordres dans la cinématographie québécoise.

Pour rendre hommage à un créateur, les programmateurs du Festival de Toronto ne font jamais les choses à moitié. Six films signés Michel Brault font en effet partie de la programmation. Des discussions sont organisées. Des échanges avec le public sont aussi prévus.

Pour le principal intéressé, qui fait ces jours-ci sa toute première visite au Festival de Toronto, l'intérêt qu'on lui porte en cette terre anglophone demeure un peu abstrait.

«Mais c'est un honneur bien agréable, concède Brault. Cela dit, ce genre d'hommage met quand même un point final à une longue et enthousiasmante carrière. Je ne suis pas animé d'un sentiment de nostalgie, mais il faut bien s'arrêter un jour!»

Selon l'estimé cinéaste, le cinéma n'est pas qu'une aventure intellectuelle. Il est aussi très physique. Et se révèle fort exigeant à cet égard.

«J'aurai 80 ans l'an prochain, laisse tomber Brault. Pour tourner, il faut être en très bonne santé, avoir la forme. Or, je n'ose plus prendre la tête d'une équipe que je risquerais d'abandonner en chemin.»

Au fil de sa carrière, le réalisateur d'Entre la mer et l'eau douce a toujours beaucoup réfléchi sur le sens de sa démarche, laquelle explore autant l'approche documentaire du cinéma que son aspect fictionnel. D'où ses fictions très «documentées» - Les ordres par exemple - à travers lesquelles il pouvait recréer le réel.

«Un film de fiction est parfois plus proche de la vérité qu'un documentaire qui se met en scène, dit-il. Je n'aurais jamais pu faire Les ordres sans passer par la fiction. Il aurait été impossible d'en faire un documentaire.»

Lui qui, au départ, fonctionnait à l'instinct, au gré de ses enthousiasmes, s'est ainsi mis à beaucoup réfléchir sur la question de la représentation du réel. «Cela m'a rendu plus conscient. Par conséquent, tout devient ensuite un peu plus difficile.»

Aussi dit-il avoir mis au coeur de sa démarche la compréhension du pays «dans toute sa longueur», en suivant le Saint-Laurent jusqu'au bout. Et même au-delà. «La compréhension de ce pays et des gens qui l'habitent passe par le fleuve, fait notamment remarquer celui qui a cosigné avec Pierre Perrault Pour la suite du monde.

Michel Brault fait par ailleurs partie de ces 11 cinéastes qui ont signé Un cri au bonheur, un film collectif faisant honneur à la poésie. Les cinéastes ont été invités à illustrer des poèmes à travers des petits films d'une durée de trois minutes.

«C'est complètement différent de tout ce que j'ai fait jusqu'à maintenant, explique Michel Brault. J'ai notamment choisi un poème écrit par Rita Mestokosho. J'ai d'ailleurs convoquée la poète pour un essai afin qu'elle me lise elle-même son poème dans la langue innu. C'est une femme splendide, très belle. Je lui ai demandé de se dénuder les épaules afin que je puisse la filmer en gros plan. Elle a lu son poème sans même avoir répété, de façon tout à fait naturelle et spontanée. Sa performance est tellement envoûtante que j'ai décidé d'utiliser cette séquence dans le film. Voilà le genre de hasard pour lequel il faut être prêt.»

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Un cri au bonheur prendra l'affiche en salle le 28 septembre. L'oeuvre de Michel Brault est par ailleurs offerte dans un magnifique coffret conçu par l'ONF.