«Beaucoup de mes livres sont montés au théâtre, où l'on prend des libertés plus grande encore qu'au cinéma avec les textes. Mais j'aime voir mes histoires racontées dans un autre langage. Cela signifie qu'elles sont toujours vivantes», indique Alessandro Baricco, joint à Rome au téléphone. 

Ce plaisir, il l'a éprouvé devant Soie, son best-seller que François Girard vient de porter au grand écran. Une adaptation qui tient presque de l'adoption: «François a pris mon histoire et en a fait son histoire. Mais comme, au départ, il a ressenti ce désir d'adapter cette histoire-là, qui contient quelque chose de mon monde à moi, c'est qu'elle contenait aussi quelque chose de son monde à lui.» 

Il y a donc fidélité dans la démarche de François Girard. Fidélité, mais sans entraves. «De toutes manières, pour moi, l'adaptation d'un roman est une histoire d'indépendance et de liberté, pas une cage», assure Alessandro Baricco. Ainsi, les deux créateurs n'ont pas travaillé en opposition - ni en collaboration directe, le scénario étant cosigné avec Michael Golding - mais en compréhension. 

«Surtout qu'Alessandro, avant que j'obtienne les droits d'adaptation, avait déjà écrit une version du scénario. Il ne me l'a jamais faite lire mais il savait pertinemment les écueils que je rencontrerais, fait François Girard. Quand nous discutions, c'était comme deux scénaristes et non comme un scénariste face à l'auteur de l'oeuvre originale.» 

Rajeunissement 

Le réalisateur s'est donc senti libre. Entre autres, de rajeunir les protagonistes du livre. Dans la vision Baricco, Hervé Joncour - qui part acheter des vers à soie au Japon... où il rencontrera une inconnue qui deviendra son obsession - et sa femme Hélène sont dans la jeune trentaine. Dans la vision Girard, ils ont 10 ans de moins. 

«Dans le roman, ça n'a pas d'importance, explique François Girard. Leur âge est mentionné une fois. On n'y revient jamais. On peut l'oublier. Je les ai rajeuni parce qu'au cinéma, l'âge est de toutes les scènes et de tous les plans. Or, pour moi, Soie est beaucoup l'histoire d'un jeune homme qui découvre sa voie, découvre l'amour, et se découvre lui-même.» Pour lui, ce cheminement seyait mieux à la vingtaine. Alessandro Baricco a vu la logique cinématographique de ce choix. 

Quant à la fameuse version du scénario qu'il a lui-même bouclée, l'écrivain affirme que «c'était bon, mais pas génial». D'ailleurs, aux yeux de l'homme de lettres, «l'auteur est la dernière personne qui devrait travailler à l'adaptation de son propre roman». Mais à l'époque, plusieurs tentatives avaient été faites. Sans succès. «Nous étions désespéré. J'ai donc fait un essai.» Ce n'était pas encore ça.

Vint la rencontre avec François Girard. «Nous avons beaucoup parlé avant que je ne lui cède les droits. Je voulais voir si nous avions une sensibilité commune.» C'est le cas. La confiance régnant, Alessandro Baricco n'a pour ainsi dire pas mis les pieds sur les plateaux de tournage. Et quand il l'a fait, c'était par curiosité. Pas pour jouer les gendarmes. 

Il avait pris semblable approche quand Giuseppe Tornatore a adapté la pièce Novecento, devenue La légende du pianiste sur l'océan au grand écran. Là par contre, la surprise a été plus grande devant le résultat qu'elle ne l'a été pour Soie: «La sensibilité de Tornatore est plus loin de la mienne que celle de François. Le film m'a vraiment étonné mais... il est très cohérent avec le monde que Giuseppe a dans la tête. Finalement, j'ai aimé.» 

Et s'il n'avait pas aimé, ce n'aurait pas été si dramatique. «Les livres survivent à tous les films qui peuvent être faits à partir d'eux.» Les écrits restent, en effet.