Entre danse, sculpture, photographie et surtout, peinture, Françoise Sullivan a traversé les décennies et les courants artistiques avec toujours autant de pertinence et d'impertinence. Artiste multidisciplinaire avant l'heure, rare femme parmi les signataires du Refus global et des automatistes, cette belle femme au regard à la fois méditatif et scrutateur, incarne à elle seule la maturation de l'histoire de l'art canadien et québécois des années 40 à aujourd'hui.

D'emblée il y a tant de choses à dire, tant de choses à montrer aussi - ses peintures, ses sculptures et ses chorégraphies, interprétées par elle ou par d'autres célèbres danseuses -, que cette profusion a sans doute constitué le défi majeur de la réalisatrice Lauraine André-G. qui lui a consacré un magnifique film, Si Sullivan m'était contée. Mais le travail sur la matière, son mystère quasi mystique, est précisément le credo de Françoise Sullivan.

Pour parvenir à approcher un peu la palpitation de la matière, l'artiste a essayé beaucoup de voies, tableaux en cercles, influence mythologique, soudure pour parvenir à la totale abstraction de ses récentes créations, immenses tableaux d'une seule couleur, rouge, bleu, ocre. La cinéaste a trouvé dans ce film une forme aussi particulière, mobile, poétique et très incarnée. La sophistication du traitement de l'image permet de rendre palpable les matières avec lesquelles travaille Sullivan.

Le film devient délibérément onirique grâce à des superpositions d'images de ses créations. Lauraine André-G. parvient à rendre ainsi ce qui constitue le centre de l'oeuvre plurielle de Sullivan : la dualité entre le mouvement dans la matière et les formes en mouvements. Mais c'est aussi une femme bien réelle qui nous est présentée, grâce aux images d'un souper chez elle avec des amis artistes, de ses promenades au lac des Castors, seule ou avec ses quatre fils, d'un vernissage au Musée des beaux-arts de Montréal, d'heures de peintures dans son atelier ou d'une discussion autour d'un thé. Le film de Lauraine Andrée-G. est un véritable conte auquel la poésie de Denise Desautels et la musique d'Arvo Pärt apportent encore plus de profondeur et de subtilité.

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Si Sullivan m'était contée, de Lauraine Andrée-G. À partir du 5 octobre au Cinéma Parralèle (Ex-Centris).