Sept ans après The Yards , l'auteur-cinéaste James Gray a imaginé une nouvelle istoire pour Joaquin Phoenix et Mark Wahlberg, ses deux acteurs fétiches. Dans We Own the Night, ces derniers incarnent deux frères «ennemis» dont les destins se croisent au fil d'une intrigue policière.

James Gray occupe une place à part dans le cinéma américain. Révélé grâce à Little Odessa, qui lui a valu un Lion d'argent du Festival de Venise en 1994, l'auteur cinéaste est le digne héritier de ceux qui ont façonné le cinéma américain des années 70.

Aussi très influencé par les cinéastes européens, Gray fait partie de ces créateurs qui, dans le contexte actuel, se font plutôt rares. We Own the Night n'est d'ailleurs que son troisième long métrage. Même si The Yards, son (excellent) film précédent, a suscité l'engouement de la critique et des professionnels il y a sept ans, le cinéaste n'a rien voulu précipiter.

«Quand j'ai travaillé avec James pour The Yards, j'ai alors pu voir à quoi ressemblait un véritable artiste», révélait Mark Wahlberg récemment lors d'une rencontre de presse tenue à Los Angeles.

The Yards, rappelons-le, est l'un des films qui ont justement révélé le potentiel dramatique de celui sur qui collait encore à l'époque l'image de l'ancien mannequin, aussi vedette de la chanson pop. «James est un grand perfectionniste, ajoute Wahlberg. Je suis convaincu que s'il en avait l'occasion, il serait encore en train de peaufiner des choses dans son film, ou de carrément tourner de nouvelles scènes. Peu importe l'histoire qu'il aura envie de porter à l'écran, je serai fier, s'il le souhaite, de faire de nouveau équipe avec lui.»

Joaquin Phoenix, qui était aussi l'une des vedettes de The Yards, ne s'est pas fait prier non plus pour reprendre du service. «Je ne sais trop comment l'expliquer, mais le cinéma de James constitue d'abord et avant tout une aventure humaine, dit-il. Cela va au-delà des apparences et de la dynamique habituelle.»

Les deux acteurs, dont les statuts respectifs ont pris du galon depuis sept ans, tenaient d'ailleurs tellement à ce que Gray puisse tourner son film à sa manière qu'ils ont décidé de coiffer aussi la casquette de producteur.

«Je croyais que cela me donnerait le droit de lui faire retirer des scènes que j'aime moins mais il semble que les choses ne fonctionnent pas de cette manière!» lance Phoenix à la blague.

Fidèle à sa «famille» d'acteurs, laquelle comprend aussi ceux issus des générations précédentes (à qui il rend souvent hommage dans ses films), Gray a écrit le scénario de We Own the Night en pensant spécifiquement à Wahlberg et à Phoenix.

«L'idée remonte à très loin», explique le cinéaste.

Axé sur l'émotion

Peu de temps après The Yards, l'un des patrons d'un grand studio suggère en effet simplement à Gray d'écrire un film "où il y aurait des policiers et une poursuite de voitures», rien de plus.

«À l'arrivée, explique ce dernier, il y a toujours les policiers et la poursuite de voitures, mais je suis allé totalement à l'encontre de l'idée que l'on se fait du film policier postmoderne branché. J'exècre cette manie que nous avons de toujours vouloir quelque chose de frais, quelque chose de neuf.

«Raging Bull n'a pas réinventé le film de boxe; pourtant, c'est le plus grand film du genre. Il m'importait ainsi de me concentrer sur les personnages et les émotions qu'ils ressentent. Le déclic s'est effectué le jour où je suis tombé sur une photo dans un journal qui montrait des policiers en larmes aux funérailles de l'un des leurs qui s'était fait tuer en service. C'était extrêmement touchant.»

Ainsi, We Own the Night est un film policier très sombre dans lequel Joaquin Phoenix et Mark Wahlberg incarnent deux frères dont les destins ont pris des chemins pour le moins opposés. Le premier dirige les destinées d'une boîte où la mafia russe fait la pluie et le beau temps; l'autre est policier. Comme leur père, un agent dont on s'apprête justement à célébrer le professionnalisme et les nombreuses années de services rendus. En cette fin des années 80 à New York, une époque où la ville était encore «dangereuse», les parcours des deux frangins vont forcément se croiser.

«J'ai grandi à Queens, précise James Gray. New York, c'est ma ville. J'y travaille; j'y tourne mes films. Je peux vous affirmer que dans les années 80, New York était loin de ressembler à un épisode de Miami Vice. L'image que la ville se donnait d'elle-même n'avait rien de clinquant. J'ai conçu We Own the Night comme s'il s'agissait d'un film d'époque qu'on aurait ensuite restauré.»

Le thème des liens familiaux n'est pas fortuit non plus. Il est au coeur même de la démarche créatrice du cinéaste, et trouve aussi une résonance non feinte chez les deux vedettes du film. «Comme je proviens moi-même d'une grande famille, il est certain que ce genre d'histoire m'interpelle fortement», confiait en outre Mark Wahlberg.

Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes cette année, où il fut plutôt sèchement accueilli, We Own the Night met aussi en vedette Eva Mendes et Robert Duvall. Ce dernier ne tarit d'ailleurs pas d'éloges envers le cinéaste.

«En parlant de James Gray, Jimmy Caan * m'a déjà dit qu'il n'avait pas rencontré meilleur cinéaste depuis Francis Coppola. Pour avoir maintenant travaillé moi aussi sous la direction des deux, je peux vous dire que je suis entièrement d'accord avec lui!»

* James Caan était l'une des têtes d'affiche de The Yards.

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We Own the Night (La nuit nous appartient en version française) prend l'affiche vendredi. Les frais de voyage ont été payés par Columbia Pictures.