En décrochant la Palme d'or du Festival de Cannes un peu plus tôt cette année, le cinéaste Cristian Mungiu a rallumé la flamme d'un sentiment de fierté nationale à travers toute la Roumanie. Rencontre avec l'un des porte-étendards d'une cinématographie qui a le vent dans les voiles.

Quand on lui parle de la «Nouvelle vague» roumaine qui est en train de déferler sur planète cinéma, Christian Mungiu a un peu de mal à mettre les choses en perspectives. Celui qui, au mois de mai, décrochait la Palme d'or du Festival de Cannes, récompense suprême de la plus importante des manifestations cinématographiques internationales, estime en effet que l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes dans son pays n'est pas le simple fruit du hasard.

«Tout cela n'est pas tombé du ciel, commentait Mungiu au cours d'une entrevue accordée à La Presse lors de son passage au Festival de Toronto le mois dernier. Étape par étape, les cinéastes ont fait leur niche en jetant les bases d'un contexte de création plus stimulant. Quand l'un d'entre nous obtient du succès, il y a forcément un effet d'entraînement. Cela dit, nous sommes quand même très différents les uns des autres. Il n'y a pas d'école de pensée.»

N'empêche que le cinéma roumain est maintenant très prisé dans les festivals internationaux. L'an dernier, 12h08 à l'est de Bucarest, un film réalisé par Corneliu Porumboiu, décrochait au Festival de Cannes la Caméra d'or, une récompense remise au meilleur premier film toutes sections confondues. Cette année, California Dreamin' de Cristian Nemescu, obtenait le prix «Un certain regard», toujours à Cannes.

«Nous n'avons pas vraiment le recul nécessaire pour nous lancer dans de grandes analyses, fait remarquer l'auteur cinéaste. Peut-être avons-nous le nez trop collé sur notre travail. Cela dit, on sent bien un engouement parmi les gens de cinéma chez nous. Comme une envie de vouloir raconter des histoires puisées à même notre réalité. Il existe présentement une véritable effervescence à cet égard.»

La réalité de Cristian Mungiu est celle d'un homme qui était âgé de 21 ans quand le dictateur communiste Nicolae Ceaucescu fut exécuté, le 25 décembre 1989.

«Même si la dictature est tombée il y a 18 ans, il est clair que nous en subissons encore aujourd'hui les conséquences, fait remarquer le cinéaste. Forcément, nous parlons de cela dans nos films.»

Des choix individuels

Dans 4 mois, 3 semaines et 2 jours, choisi pour clore le 36e Festival du nouveau cinéma ce week-end, Cristian Mungiu nous entraîne ainsi dans la Roumanie sinistre de la fin de l'ère communiste. Le récit, inspiré d'une histoire vraie, s'attarde à décrire l'enfer que doit traverser une jeune femme qui veut mettre un terme à sa grossesse alors que cette pratique médicale est illégale. Sous Ceaucescu, une loi interdisant l'avortement avait en effet été adoptée en 1966 afin d'augmenter le poids démographique du pays.

«Cette question me concernait directement car je suis issu du boom démographique de ces années-là, raconte celui qui est né en 1968. Plusieurs d'entre nous somme vivants à cause de cette loi abusive. Ce n'est que plus tard que les gens ont commencé à se révolter et que les avortements clandestins se sont répandus. Une fois le régime tombé, nous avons découvert que plus de 500 000 femmes étaient mortes en avortant. J'ai voulu faire écho à ce drame collectif. Sans porter de jugement.»

S'il affirme ne pas avoir voulu faire un film politique, ni prendre partie dans le débat sur l'avortement, il reste que 4 mois, 3 semaines et 2 jours a suscité une certaine controverse. Et même, une réaction officielle - très sévère - du Vatican!

«Ce film aborde surtout la question des choix individuels que nous sommes appelés à faire dans des circonstances parfois bien précises, commente l'auteur cinéaste. Je n'ai pas voulu faire un film à thèse, mais plutôt plonger dans le domaine de l'émotion. Certains préfèrent voir un seul côté de la médaille et interpréter l'histoire à l'aune de leurs propres convictions. J'ose espérer que la plupart des spectateurs sauront faire la part des choses. Quant à la réaction du Vatican, que puis-je dire sinon que la valeur pédagogique d'un film comme celui-là - et la réflexion qui en découle - me semble préférable à la condamnation. En tant que cinéaste, je ne fais qu'amener une problématique sur la place publique. Le reste appartient au spectateur.»

Même si les films roumains sont très peu vus sur leur propre territoire, la consécration de quelques productions sur la scène internationale a par ailleurs fouetté le sentiment de fierté nationale d'un peuple qui compte environ 22 millions d'habitants.

«Les gens se sont immédiatement emparés de cette Palme d'or car elle leur permettait enfin de se sentir fiers d'être Roumains. Vous savez, l'image qu'ont les étrangers de notre pays relève parfois du cliché. Quand elle parle de nous, la presse occidentale évoque habituellement Dracula, la dictature du régime Ceaucescu, la pauvreté, les orphelinats, bref, elle ne présente qu'une image assez sommaire. Qu'un film produit chez nous ait une telle résonance internationale a fait grand plaisir à mes compatriotes.»

4 mois, 3 semaines et 2 jours est présenté le samedi 20 octobre à 19h30 au Cinéma Impérial dans le cadre du Festival du nouveau cinéma. Il prend l'affiche en salle le 26 octobre.