Dans le nouveau film des frères Coen, Javier Bardem prête ses traits à l'un des personnages les plus terrifiants qu'il nous ait été donné de voir au cinéma depuis longtemps. Évidemment, ce changement de registre brutal ravit le principal intéressé.

Au Festival de Cannes, où No Country for Old Men fut présenté en compétition officielle, Javier Bardem aimait bien raconter ce moment où, pour une première fois, il a manifesté le désir de travailler un jour sous la direction de Joel et Ethan Coen.

« Il y a plusieurs années, rappelait-il à quelques journalistes réunis pour une rencontre, je me suis rendu au Festival de Toronto afin d'accompagner la présentation de Before Night Falls. Mon agent américain m'avait alors demandé ce que je souhaitais accomplir là-bas. Je lui avais répondu que, plus que tout au monde, je voulais travailler avec les frères Coen. On m'avait alors suggéré d'oublier cette idée au plus tôt. Comme leurs films sont habituellement très ancrés dans l'Amérique profonde, on voyait mal comment je pourrais éventuellement parvenir à me glisser dans leur univers. »

Sept ans plus tard, le miracle est pourtant survenu à la faveur de cette adaptation cinématographique d'un bouquin écrit par l'auteur américain Cormac McCarthy. No Country for Old Men (publié en français sous le titre Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme) est un roman noir parfumé de fin du monde dans lequel les Coen ajoutent la touche d'humour grinçant qui a établi leur réputation. Les frangins ont d'ailleurs envisagé très rapidement la possibilité de faire appel à l'acteur espagnol pour incarner un tueur dénué d'états d'âme. Et dont personne ne connaît les origines, ni les motivations.

« Javier est un acteur avec qui nous voulions travailler depuis longtemps, expliquait Joel (ou était-ce Ethan?). Nous avions enfin l'occasion de lui proposer un rôle car le personnage qu'il incarne dans le film est le seul à provenir de l'extérieur de la région. »

Sous l'oeil bienveillant de ses idoles, Bardem prête ainsi ses traits à l'un des « vilains « les plus terrifiants qu'il nous ait été donné de voir au cinéma depuis très longtemps. Le genre de type sans foi ni loi qui n'obéit à aucun code moral, sinon celui de déterminer parfois le sort de ses victimes à pile ou face. Un règlement de comptes amène ainsi ce « professionnel »  se rendre dans une petite ville frontalière du Texas, là où, en cette année 1980, les revendeurs de drogue ont depuis longtemps déjà remplacé les voleurs de bétail. Le fait qu'un magot de 2 millions de dollars ait été innocemment recueilli par un chasseur (Josh Brolin) a en outre déclenché dans la ville une réaction en chaîne d'une violence inouïe. Un shérif nostalgique dépassé par les événements (Tommy Lee Jones), et un « envoyé spécial » Woody Harrelson), chargé de récupérer la somme au nom d'un mystérieux propriétaire, sont aussi impliqués dans cette affaire.

Une composition physique

Reconnu notamment pour ses prestations très sensibles dans des films comme Before Night Falls (Julian Schnabel) ou Mar Adentro (La mer intérieure d'Alejandro Amenabar), Javier Bardem n'avait évidemment jamais eu l'occasion d'incarner un personnage aussi vil. Il ne cache d'ailleurs pas avoir entretenu quelques appréhensions à cet égard, notamment à propos du climat de violence extrême dans lequel baigne cette histoire.

« Toutes mes craintes se sont estompées dès que j'ai discuté avec Ethan et Joel, fait-il toutefois remarquer. D'abord parce qu'ils sont brillants. Ensuite, parce que j'ai alors compris qu'il ne servait à rien de rationaliser quoi que ce soit dans ce genre d'univers. Ce personnage vit dans un monde qui n'a plus aucun sens. »

La composition physique du personnage, très particulière, lui fut aussi d'un précieux secours.

« La première fois que les Coen ont vu ce que le maquilleur et le coiffeur avaient fait de moi, ils n'ont pas cessé de rire aux éclats! Cela dit, l'aspect physique d'un personnage m'aide grandement dans mon travail. Avec ce look, j'avais vraiment l'impression que rien ne tourne rond dans ce monde. Cela fait ainsi écho au sentiment qui anime ce personnage. Grâce à cette coupe de cheveux, je me suis senti complètement barjot pendant les trois mois de tournage! »

Aussi l'acteur salue-t-il l'apport de son partenaire de jeu Josh Brolin, avec qui il a beaucoup sympathisé sur le plateau.

« Vous savez, No Country for Old Men est le premier film que je tourne aux États-Unis. J'étais le seul étranger au sein d'une équipe entièrement américaine, planquée au fin fond du Texas! Disons que Josh m'a aidé à absorber le choc culturel. Je dirais aussi que le fait d'être un peu à l'écart m'a permis de plonger dans la solitude d'un personnage qui se détache de plus en plus du monde. Nous n'avons pas cherché à inventer une histoire au personnage à l'extérieur du film car cela aurait été inutile dans les circonstances. Je me plais quand même à penser que ce type a toujours été vierge, incapable du moindre contact physique avec les autres. »

L'acteur, que nous verrons bientôt aussi dans l'adaptation cinématographique du roman de Gabriel Garcia Marquez L'amour au temps du choléra (sortie le 16 novembre), dit avoir été évidemment ravi par son expérience.

« Dans mon esprit, tout était déjà très clair: il y avait les frères Coen d'un côté; et le reste du monde de l'autre. Après avoir travaillé avec eux, mon esprit reste tout aussi clair! »