Quatre personnages, mais des scènes tournées presque exclusivement en solo. Quatre destins qu'on suit en devinant, par de petits détails ou une toute petite phrase, ce qui est venu avant et en imaginant ce qui pourrait venir après. Un film casse-tête, dont chaque pièce a été travaillée comme un tableau. Continental, un film sans fusil, premier long métrage du réalisateur Stéphane Lafleur, a exigé disponibilité, présence et confiance à la comédienne Fanny Malette.

Cette dernière prête ses traits à Chantal, qui travaille à la réception d'un motel, vit désespérément seule dans son appartement, se promène avec un banc d'enfant vide sur son vélo, se laisse des messages sur son répondeur, qu'elle écoute ensuite pour combler le silence de son existence.

«Stéphane m'avait remis une petite enregistreuse, que je traînais sur moi pour enregistrer des messages, justement», raconte Fanny Malette.

«Celui que le personnage de Gilbert entend, quand il répare le répondeur de Chantal, c'en est même un qui est resté dans le film!» souligne d'ailleurs en riant Stéphane Lafleur.

L'exercice ne visait pas tant de mieux faire comprendre le personnage à Fanny Malette qu'à monter une banque de messages pour les besoins du film, dans lequel se frôle Lucette (Marie-Ginette Guay), dont le mari est porté disparu, Marcel (Gilbert Sicotte), qui voudrait bien vieillir avec son ex, et Louis (Réal Bossé), dont le couple est menacé par la distance.

«On n'apporte pas de réponses concrètes aux questions existentielles des personnages, explique Fanny Malette. Pourquoi Chantal se laisse-t-elle des messages? Pourquoi se promène-t-elle avec un banc d'enfant fixé sur son vélo? Par romantisme? Parce qu'elle a perdu un enfant? On ne sait pas et ce n'est pas grave, parce que le spectateur peut alors se faire sa propre histoire sur ce qui elle est.»

Stéphane Lafleur renchérit qu'il a voulu, avec Continental, faire confiance aux spectateurs, leur permettre de non seulement apporter leurs propres réponses, mais aussi leur donner le temps de visiter chaque image. «L'utilisation des plans fixes, longs, dans lesquels les personnages entrent et sortent permet ça. Pendant que Chantal écoute ses messages, on regarde les photos sur son mur. Quand Lucette décide de faire le ménage dans les affaires de son mari disparu, on visite le sous-sol de sa maison.»

Impression de collage

Et quand on entre dans la boutique de brocante de (Gilbert Sicotte), on aperçoit aussi, fugacement, une pochette d'album sur lequel figure justement le nom du personnage de Gilbert Sicotte. Et ainsi de suite. «En une image ou en quatre lignes de dialogue, on comprend bien des choses sur chacun des personnages. Des choses qui n'étaient pas nécessairement dans le scénario, mais qu'on ressent, qu'on imagine», soutient Stéphane Lafleur, qui aime cette impression de collage qui se dégage du film.

Quant au tournage, il s'est justement fait à la pièce. La grande majorité des scènes ont été tournées par les comédiens chacun de son côté.

«En fait, j'ai été chanceuse, précise Fanny Malette en rigolant. J'ai tourné deux jours avec Réal Bossé, puisque Louis séjourne au motel où Chantal travaille. Et j'ai joué une scène avec Gilbert. Mais la scène où Lucette vient au motel et dans laquelle on s'échange une réplique, on ne l'a même pas tourné ensemble!»

«C'est ça, la beauté du montage!» s'exclame Stéphane Lafleur.