L'un des plus célèbres romans de la littérature sud-américaine prendra vie sur grand écran en anglais. Peut-on adapter L'amour au temps du choléra de cette façon sans dénaturer l'oeuvre ? Mike Newell en est aujourd'hui convaincu

Dans un monde idéal, l'adaptation cinématographique de L'amour au temps du choléra aurait dû être réalisée dans la langue d'origine du célèbre roman de Gabriel Garcia Marquez. Mike Newell le sait très bien. De passage à Montréal récemment, le cinéaste anglais, qui compte notamment à son actif de grands succès populaires comme Quatre mariages et un enterrement ou Harry Potter et la Coupe de feu, expliquait sa réflexion au cours d'une entrevue accordée à La Presse.

«Dès le départ, le fait de tourner ce film en anglais fut pour moi une très grande préoccupation, voire même une source de déchirement. Je me disais que j'étais un frimeur, un imposteur. J'étais convaincu qu'étant Britannique, je n'avais évidemment pas la sensibilité pour traduire adéquatement cette oeuvre phare de la culture hispanique. Comment diable pouvais-je oser m'attaquer à un tel projet alors que je ne sais même pas lire une phrase en entier en espagnol?»

Il s'adonne que ce projet d'adaptation est américain. À l'instar de Frida, un projet mis sur pied par Salma Hayek il y a quelques années en hommage à l'artiste mexicaine Frida Kahlo, il n'était pas question de limiter, aux États-Unis, la distribution du film aux quelques villes qui, parfois, proposent des films étrangers avec des sous-titres. D'où le choix de tourner en anglais.

«Je me suis alors mis à penser à ces remarquables cinéastes qui, de temps à autre, posent un regard magnifique sur des cultures qui leur sont en apparence étrangères, explique Newell. Parmi ceux-là, des gens comme Alejandro Gonzalez Inarritu (Babel) ou Alfonso Cuaron (Children of Men), un cinéaste que j'ai connu en travaillant sur la série des Harry Potter. On m'a aussi fait remarquer qu'aucune adaptation cinématographique du roman de Garcia Marquez n'avait été réalisée depuis sa publication il y a près de 25 ans, pas même en langue espagnole. J'avais le sentiment que je n'avais tout simplement pas le droit de passer outre.»

Mike Newell, qui a grandi dans un milieu où la littérature et le théâtre étaient très présents, conclut d'ailleurs sa réflexion sur le sujet en évoquant les grandes pièces du répertoire.

«J'ai vu des productions remarquables de pièces de Shakespeare montées dans des langues étrangères, dit-il. Si l'on suivait la même logique au théâtre qu'au cinéma, cela voudrait dire que les oeuvres ne pourraient être interprétées que dans la langue dans laquelle elles ont été écrites. Et ce serait bien dommage. Autant pour Shakespeare que pour Molière ou Ibsen. Je fais partie de ceux qui croient qu'un artiste a le droit de tout essayer, en autant qu'il le fasse sans arrogance, dans le respect de l'oeuvre.»

Le soutien de l'auteur

À cet égard, Newell avait de bons atouts dans son jeu. Le producteur Scott Steindorff a en effet orchestré une campagne de séduction auprès de Gabriel Garcia Marquez afin que ce dernier lui cède les droits d'adaptation. Après des refus successifs est enfin venu, un jour, le mot «peut-être». «Au début, il me raccrochait carrément la ligne au nez! racontait le producteur au cours d'une rencontre de presse tenue à New York. Garcia Marquez ne voulait pas céder les droits, encore moins à quelqu'un qui avait l'intention d'adapter son roman en anglais!»

La persistance du producteur a fini par venir à bout de la résistance de l'auteur. L'écriture du scénario fut alors confiée à Ronald Harwood (The Pianist). Même si des superstars ont fait valoir leur intérêt auprès de la production, il fut par ailleurs très vite décidé de faire appel à des acteurs issus de la culture hispanique. Javier Bardem prête ainsi ses traits à Fiorentino, cet homme transi d'amour qui, toute sa vie durant, attendra patiemment celle qu'il aime. Seule exception, l'actrice italienne Giovanna Mezzogiorno (fille du regretté Vittorio). C'est elle que Newell a choisie pour donner la réplique à Bardem dans le rôle de Fermina, cette femme qui, sous les instances de son père (John Leguizamo), se mariera avec un médecin aristocrate (Benjamin Bratt).

«Je suis en tout cas rassuré par le fait que Garcia Marquez ait donné son aval au film, fait remarquer le cinéaste. Il semble en tout cas être content. Il m'a même offert de rédiger lui-même les sous-titres en espagnol pour les copies qui seront distribués dans les marchés hispanophones. Évidemment, il s'agit d'un travail trop particulier pour le confier à un auteur qui n'en a pas l'habitude, mais cela indique quand même à quel point il soutient notre projet.»

Une grande étape vient ainsi d'être franchie, mais le cinéaste ne s'estime pas sorti de l'auberge pour autant.

«La critique ne s'est pas encore prononcée. Le livre est si connu que tout le monde a forcément sa propre adaptation en tête, tant chez les spectateurs que chez les journalistes.»

Newell dit être toutefois ravi du fait que le bouquin de Garcia Marquez ait été choisi comme « livre du mois « dans le cercle de lecture de l'animatrice Oprah Winfrey.

«Grâce à elle, le bouquin est redevenu un best-seller. Tous ces nouveaux lecteurs auront probablement aussi envie de voir le film. Seront-ils tous satisfaits? Je ne sais pas. Mais je ne crois sincèrement pas avoir fait un navet.»