Les États-Unis s’enlisent en Irak. Le Congrès américain dépense des centaines de milliards pour un conflit dont personne ne peut prédire l’issue. Près de 3000 soldats américains, des jeunes dans la fleur de l’âge, sont tombés au combat. Et ceux qui reviennent, après leur mission, demeurent à jamais marqués par ce qu’ils ont vécu.

De la même façon que la guerre du Viêtnam a inspiré son lot de films, l’implication militaire américaine en Irak, malgré qu’elle soit encore en cours, commence à faire des petits au grand écran. Brian de Palma, avec Redacted (inédit à Québec), et Paul Haggis, avec In the Valley of Elah (à l’affiche la semaine prochaine au Clap en version originale anglaise), sont les premiers réalisateurs américains à s’aventurer sur ce terrain miné.

Depuis que les Américains ont posé le pied en Irak, Paul Haggis n’a cessé de s’interroger sur ce qui se passe là-bas. Et, surtout, sur ce qui arrive aux jeunes soldats une fois de retour au pays. Traumatisés par l’horreur, laissés à eux-mêmes, habités par des sentiments douloureux et contradictoires, ces militaires ne sont souvent plus que l’ombre d’eux-mêmes. La hausse du nombre de suicides dans les forces armées américaines est éloquente à ce sujet.

Dans son film au titre biblique — l’endroit en Israël où le roi Saül avait envoyé David combattre —, Haggis part d’un reportage paru dans Playboy, en 2004, pour raconter l’histoire d’un ancien militaire (Tommy Lee Jones) déterminé à faire la lumière sur la mort atroce de son fils soldat, en permission aux États-Unis.

Le cinéaste en profite pour dénoncer en filigrane un système qui envoie des gamins à l’abattoir. Quand ils ne se font pas tuer en Irak, c’est sur le sol américain qu’ils le sont, par autodestruction.

«Nous n’avons pas à blâmer des jeunes de 18, 19 ou 20 ans pour ce qui se passe en Irak, c’est notre responsabilité», explique le réalisateur de 54 ans, en entrevue au Soleil, en septembre, dans le cadre du Festival international du film de Toronto. «C’est nous qui avons créé cette situation impossible, qui entraînons ces jeunes, qui leur apprenons à se désensibiliser face à l’horreur qu’ils verront là-bas. Nous les envoyons dans une vallée, combattre le géant Goliath. Sauf que cette fois, ce n’est pas David qui a le dessus...»

Témoignages troublants

Lauréat de l’Oscar du meilleur film pour Crash en 2005 et du meilleur scénario adapté pour Million Dollar Baby, l’année précédente, Haggis a su qu’il avait mis le doigt sur une blessure très vive, lors de la première américaine de son film, à Washington, la veille de l’entrevue.

«J’étais dans le hall, après la projection, et une femme est venue me remercier pour mon film. Son mari avait servi en Irak et s’était suicidé dans la première semaine de son retour. Une deuxième femme est venue me voir. Elle, c’était son fils qui s’était enlevé la vie. Puis une troisième...

«Mon Dieu! J’étais vraiment troublé. Ç’a été dur de tourner le film, mais ç’a été encore plus difficile pour moi d’entendre tous les témoignages de vétérans et de leurs familles. Mais pour eux aussi, c’était dur de voir le film.»

Ontarien d’origine, mais détenteur de la double citoyenneté canadienne et américaine depuis une vingtaine d’années, Haggis ne veut pas que son long métrage, «une tragédie américaine», soit vu à travers la lorgnette de la partisanerie.

«Il n’est pas question de savoir qui a tort ou qui a raison, les républicains ou les démocrates. J’ai voulu faire un film que tous les Américains pourraient voir, et où chacun d’entre eux puisse trouver sa propre vérité. J’ai voulu faire pour In the Valley of Elah et la guerre en Irak la même chose que pour Crash, au sujet de l’intolérance et du racisme.»

Carrière désastreuse

In the Valley of Elah, lancé à petite échelle dans les salles nord-américaines le 14 septembre, a vu sa carrière battre de l’aile dès son envol. Avec des recettes de moins de 7 millions $, le public n’a pas été au rendez-vous. Lors de notre entrevue à Toronto, Haggis avouait «ne s’attendre à rien» pour son film, surtout pas à ce qu’il puisse arrêter la guerre, même si «les films et l’art peuvent avoir un impact sur la société».

«Crash avait connu un très petit lancement, dans neuf salles seulement. Mais de fil en aiguille, les gens sont allés le voir et il est sorti dans plus d’endroits. C’est grâce à Crash que j’ai pu faire un film comme In the Valley of Elah. C’est bien évident que je voudrais que tout le monde le voit, mais ce qui m’importe, c’est d’avoir fait le film que je voulais faire.»