«Jean-Marc Leblanc est un fonctionnaire qui a la mi-quarantaine, désabusé, fatigué qui, dès la première seconde du film, se demande s’il n’est pas passé à côté de sa vie. Il a quelques fantasmes, mais a de la misère à être flamboyant dans ceux-ci, même quand Diane Kruger est à ses côtés.»

Combien de fois, depuis la présentation de L’âge des ténèbres en clôture du Festival de Cannes, Marc Labrèche a-t-il décrit son personnage en ces termes? Combien de fois est-il allé défendre le film mal-aimé des critiques de Denys Arcand devant des journalistes? Le film était d’abord censé sortir sur nos écrans le 22 mai dernier. Mais après une présentation surprise à Cannes, le distributeur Alliance Vivafilm a reporté sa sortie en décembre. Et, entre-temps, le long métrage a été présenté au Festival de Toronto, a abouti sur un écran de Grande Prairie en Alberta, a été projeté en France, puis a amorcé sa carrière québécoise au FNC et au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, avant d’officiellement faire son entrée dans 80 salles de la province (à compter du 7 décembre). Ouf!

Marc Labrèche ne montre pourtant aucun signe d’épuisement lorsqu’on lui demande de trouver des qualités à son fonctionnaire. «Ça ne me tanne pas, car je n’en ai pas fait tant que ça, de la promo, dit-il. Il y a eu Cannes, Toronto. On rencontre, chaque fois, toutes sortes de gens qui voient tous les choses différemment. Un journaliste fino-hongrois qui ne parle que le slavon ancien ne pose pas les mêmes questions qu’un Yougoslave intello! Il n’y a pas 1000 façons d’aborder un film, mais les journalistes ont fait différentes lectures de L’âge des ténèbres. Certains ont dit que c’était un film sur la vie de couple. D’autres, sur la solitude...»

N’empêche, Labrèche est heureux de voir L’âge des ténèbres enfin offert au public québécois. «Il était temps, lance-t-il. J’espère que malgré l’accueil (tiède) en France, il va trouver son public.»

Il semble y avoir un prix à payer quand on joue avec un réalisateur dont les œuvres sont primées à Cannes et Hollywood. Labrèche, éternel optimiste, ne s’en fait guère. «J’ai toutefois trouvé qu’on s’était acharné sur le film, par rapport à sa sortie ici et aux critiques en France, dit-il. Ça manquait d’élégance dans la presse canadienne. Mais, sincèrement, je considère qu’il n’y a rien eu de négatif dans cette aventure. J’ai appris énormément sur la vie sur un plateau. C’est un luxe de passer 52 jours avec quelqu’un qui a les mêmes références en humour. Une vraie relation humaine s’est installée entre Denys et moi. Ce fut très stimulant.»

L’autre Marc Labrèche

Dans L’âge des ténèbres, Denys Arcand nous offre un Marc Labrèche sans rictus. Capable de jouer la passivité, la tristesse et l’écœurement, lui qui se montre invariablement explosif et lubrique à la télé (Le grand blond avec un show sournois) et au cinéma (L’odyssée d’Alice Tremblay). Jean-Marc vit depuis trop longtemps avec une femme carriériste avec qui il ne communique plus (Sylvie Léonard). Il pensera momentanément avoir trouvé le bonheur dans les bras d’une passionnée du monde médiéval (Macha Grenon).

En fait, dans L’âge des ténèbres, Marc n’a de Jean-Marc que la moitié du prénom. «Pour Marc, c’est un rôle hallucinant, note Sylvie Léonard. Comme Roy Dupuis avec Maurice Richard et le général Dallaire, il y a eu une vraie rencontre avec un personnage.»

«Marc me fait tout le temps rire, ajoute Macha Grenon. Il a du panache, il est très charismatique mais, cette fois, il a dû briser ça. Sur le plateau de L’âge des ténèbres, j’ai rencontré un straight man, un homme groundé, avec une retenue. J’ai été très impressionnée.»

À la lecture du scénario, Marc Labrèche avait tout pour rester sérieux. L’âge des ténèbres est un film gris et cynique. Arcand fait dans le tout ou rien lorsqu’il traite de notre système de santé, de la lourdeur bureaucratique gouvernementale et de l’impasse en matière d’aide aux démunis. «C’est dramatique, résume Labrèche. C’est le film le plus personnel de Denys. C’est excessivement intime et sans compromis. Denys l’assume jusqu’au bout. Ce qui fait qu’il en paye peut-être le prix aujourd’hui.»

«Je suis très optimiste de nature, mais des choses m’inquiètent maintenant dans la vie, mentionne Macha Grenon. Au plan écologique notamment. On n’est pas à une époque heureuse. Dans quelques années, on va peut-être dire que Denys a mis le doigt sur quelque chose.»

Malgré la noirceur du scénario, Labrèche n’a jamais trouvé le travail ardu et épuisant sur le plateau d’Arcand, même s’il est de toutes les scènes et qu’on ne le voit sourire qu’une fois. «Au contraire, c’était plaisant d’être là tout le temps, raconte l’acteur. J’étais en famille. Je ne rebrisais pas la glace chaque fois. Je pouvais suivre l’histoire et la voir prendre forme avec Denys.»

«Denys ne cultive pas le mythe de la célébrité, mentionne Macha Grenon. Il a besoin de contacts réels pour créer. Marc aussi est comme ça. Personne n’a carburé à la souffrance sur le plateau.»

Jouer les hommes livides à l’écran rappellera à tous que Labrèche peut être plus qu’un bouffon devant une caméra. Une bonne chose? «Si je voulais faire cette carrière, certainement, dit Labrèche. Mais je ne veux pas que de ça dans la vie. Je veux continuer d’animer (NDLR : ce qu’il fera d’ailleurs à compter de janvier, à Radio-Canada). Et je n’aurai peut-être pas un autre rôle dans un film avant longtemps.»

L’âge des ténèbres prend l’affiche vendredi.