Le personnage de Jean-Marc Leblanc qu’il incarne dans L’âge des ténèbres a beau rêver sa vie plutôt que de vivre ses rêves, cela n’empêche pas Marc Labrèche d’avoir une compassion pour ce fonctionnaire désabusé, à la recherche de lui-même et d’un sens à sa vie.

En entrevue au Soleil à l’occasion de la tournée de promotion de l’un des films québécois les plus attendus de l’année, le comédien loue également le regard que porte Denys Arcand sur cet homme malheureux dans toutes les sphères de sa vie et qui s’invente un monde de fantasmes pour tenir le coup.

«Je crois que c’est le film le plus personnel de Denys Arcand, le plus proche de lui, explique-t-il. Il y a dans le scénario une tendresse et un attachement à l’égard du personnage de Jean-Marc. Il fait preuve d’empathie pour un loser qui n’est pas intello et qui n’a pas la réplique facile et pleine d’esprit. Le premier titre de travail du film, et aussi le titre du livre avec lequel il gagne le Goncourt, dans sa vie de rêve, était d’ailleurs Un homme sans intérêt. Mais il faut prendre le film comme une sorte d’allégorie.»

Rencontre déterminante

Avenant et intarissable, le comédien caméléon du Cœur a ses raisons n’hésite pas à parler de sa rencontre avec Arcand comme un moment charnière dans sa carrière. Les deux hommes ne se connaissaient pas tellement — Arcand était allé une fois sur le plateau du Grand blond avec un show sournois —, mais à leur première rencontre en privé, une chimie s’est tout de suite installée.

«On s’est rencontrés au restaurant et il m’a parlé de son scénario qui n’était pas encore écrit. Il me l’a décrit comme l’histoire d’un homme qui passe son temps à écouter les problèmes des autres sans avoir de solutions à leur offrir.»

Labrèche a hésité un moment avant d’accepter le rôle, lui qui avait porté plus souvent qu’autrement le chapeau d’humoriste, contrairement à Jean-Marc Leblanc, sombre et tout en retenue. «Je n’aspirais à rien d’autre que d’être un meilleur être humain (rires)... Je ne voulais surtout pas le décevoir. Mais ç’aurait été vraiment trop stupide de refuser le rôle.»

Pour avoir côtoyé longtemps et appris à connaître le vétéran réalisateur, Marc Labrèche a été d’autant plus étonné de lire les attaques personnelles dont il a été victime. Le magazine L’actualité en a fait écho dans une récente parution.

«Il y a eu une escalade, voire un acharnement dans sa façon de parler de lui. La presse canadienne à Paris a repris les insultes les plus grossières à son endroit (ndlr : le magazine français Les inrockuptibles l’a traité de «vieux con»). On a beau être émotif, mais à un moment donné, ça prend un minimum d’élégance. Denys a été échaudé. Il est maintenant davantage sur ses gardes, il a appris à se protéger. Il a aussi plus de lassitude à donner des entrevues.»

Faire attention à soi

«Malgré les critiques mitigées dans la foulée du passage de L’âge des ténèbres, il y a 20 ans, ce film aurait été vu comme une fable, un film à la George Orwell, mais aujourd’hui avec tout ce qui se passe, ce n’est plus le cas. Je suis curieux de voir comment on va en parler avec du recul, dans cinq ans par exemple.»

Chose certaine pour Marc Labrèche, fable ou pas, L’âge des ténèbres est porteur d’un message lourd de sens à notre époque de surconsommation et de course contre la montre. «Si on ne fait pas attention à soi et à ceux qu’on aime, on risque de devenir des Jean-Marc Leblanc...»

Sylvie Léonard se souvient de la première fois qu’elle a lu le scénario de L’âge des ténèbres. Dans le jardin de sa maison du Vieux-Longueil, verre de vin blanc à la main, sous un beau soleil, elle a savouré chaque ligne du travail d’un cinéaste qu’elle qualifie de fin observateur des mœurs de ses semblables. «Je me suis dit : “Il fesse sur tout ce qui bouge. Il n’y a pas une ligne de trop”.»

Dans le nouveau film du réalisateur des Invasions barbares, Sylvie Léonard incarne la femme du fonctionnaire Jean-Marc Leblanc (Marc Labrèche), une courtière immobilière workaholic, accrochée en permanence à son cellulaire et déconnectée de sa famille. Le couple n’arrive plus à communiquer, enfermé dans le luxe de leur monster house d’une banlieue anonyme.

Pas le genre de quartier que la comédienne affectionne particulièrement. «Des maisons immenses avec des gazons toujours verts, sauf qu’on ne voit jamais personne dehors. Il y a des piscines partout, mais on entend jamais de ‘splash’. Ça me dépasse...»

Dans l’une des scènes charnières du film, c’est en marchant derrière son mari, dans une rue de l’un de ces quartiers cossus, que le personnage de Sylvie Léonard, alors à bout de patience, lui sert ses quatre vérités. «Je lui renvoie l’image d’un homme qui joue à la victime. J’essaie de lui faire comprendre qu’il faut que ça arrête. Il est la victime de ses propres choix. Sa femme ne lui a pas passé la corde au cou pour qu’il en arrive là où il est.»

Sylvie Léonard a observé avec un certain «détachement» toute la saga entourant la sortie cannoise et française de L’âge des ténèbres. De tout cela, elle retient qu’une «œuvre d’art n’a pas besoin de faire l’unanimité» et surtout qu’aujourd’hui, un film ne peut plus compter sur le bouche à oreille pour connaître une bonne carrière. «Maintenant, pour qu’un film ait de l’impact, avant même qu’il sorte en salles, il faut que la rumeur soit positive. Il ne peut plus compter sur le seul bouche à oreille après sa sortie.»