La fermeture du complexe StarCité, en mars, a provoqué non seulement une perte de 18 écrans dans la capitale, mais un effet tout aussi inquiétant, soit une baisse importante du nombre de longs métrages américains en version originale anglaise. Pas une semaine ne passe sans qu'un lecteur dénonce, avec raison, cette nouvelle réalité.

À l'époque où les deux mégacomplexes cohabitaient à un jet de pierre l'un de l'autre, la plupart des films anglophones prenaient l'affiche au StarCité dans leur langue originale. Règle de concurrence oblige, la version doublée était projetée au Cinéplex Sainte-Foy. Ce n'est plus le cas, au grand dam des cinéphiles qui n'en peuvent plus d'entendre Tom Cruise et Denzel Washington parler seulement en français sur les écrans de Québec.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Une compilation maison démontre que des 120 films américains projetés dans la capitale depuis la disparition du StarCité, 79 (66 %) l'ont été uniquement dans leur version française. Pour voir Lions for Lambs (plutôt que Lions et agneaux), film bavard s'il en est un, c'est à Montréal qu'il fallait se rendre. Mince consolation : la plupart des blockbusters de l'été (Spider-Man 3, Shrek the Third, Pirates des Caraïbes 3, le dernier Harry Potter) ont été présentés dans les deux versions.

Deux fois sur trois, donc, lorsqu'un film américain prend l'affiche à Québec, il l'est seulement dans sa version doublée. Cette érosion des films anglais dans les salles de Québec tire une partie de son explication dans le profil linguistique de la capitale, composé à seulement 1,4 % d'anglophones (contre 18,2 % à Montréal).

Selon l'Institut de la statistique du Québec, 34,6 % de la population de la ville de Québec (avant les fusions) était considérée comme bilingue en 2001. L'écart va de 18 % (Vanier) à 62 % (Sillery).

Dans ce contexte, le choix n'est pas difficile pour les distributeurs. Malgré les doléances des cinéphiles de Québec, le mécénat n'est pas leur rayon. La copie anglaise d'un film fera beaucoup plus de recettes à Montréal que dans le marché de Québec. Simple logique commerciale.

C'est une chose de déplorer le manque de films en version originale anglaise, c'en est une autre d'aller les voir lorsque vient le moment. Règle générale, le gros de l'achalandage survient la première semaine d'exploitation et chute radicalement par la suite. Dans les circonstances, la durée de vie d'un film en version originale anglaise est limitée à une semaine ou deux, guère plus. Si celui qui veut absolument avoir le film en anglais attend trop, il lui faudra se rabattre sur la sortie du DVD, quelques mois plus tard.

Ce changement dans le profil cinématographique de Québec n'est pas sans conséquence, à l'heure où les élus cherchent à retenir les jeunes et à courtiser des immigrants. La possibilité de voir un film en anglais est un atout supplémentaire dans le jeu d'une ville qui cherche à s'ouvrir au monde. Le nouveau travailleur est souvent bilingue, ouvert à la culture américaine, et globe-trotter. Le film américain qui fait jaser toute l'Amérique, c'est en anglais qu'il veut le voir, pas en version doublée, et personne ne pourra le blâmer.

Dans un monde idéal, tous les films devraient être vus dans leur version originale avec sous-titres. Terminé d'entendre Leonardo Di Caprio parler comme Joël Legendre. Les voix agaçantes n'existeraient plus, seulement le doublage écrit. Ce serait la meilleure façon d'apprécier la musique émotive de chaque langue, qu'elle soit anglaise, polonaise ou chinoise.

Hélas, on parle d'un monde qui n'existe pas. Dans la vie comme au cinéma.